ADIEU: Nicky nous a quittés

von Trixie Graf (FCE - Longo maï), 23.09.2005, Veröffentlicht in Archipel 129

Nous savons bien que l’on ne peut pas réaliser des idéaux, mais nous savons aussi que rien dans ce monde n’a eu lieu, n’a été changé, n’a été fait sans la flamme de l’idéal. Et – cela paraît dangereux aux yeux de nos adversaires et l’est vraiment – nous ne pensons pas que la flamme de l’idéal doive seulement briller de façon décorative dans le ciel étoilé, mais qu’elle doit aussi brûler ici-bas: brûler dans les coins des caves où nichent les cafards, brûler sur les toits des palais des riches, brûler dans les églises où, rationnellement, on trahit les miracles d’autrefois, et brûler chez les usuriers qui ont transformé leurs baraques en temples.

Kurt Tucholsky

Nicholas Busch nous a quittés le 23 mai 2005. Son cœur s’est arrêté lors d’une promenade en vélo dans une forêt près de Falun en Suède où il habitait avec sa famille.

Pour nous, gens de Longo maï et du Forum Civique Européen, Nicky était plus qu’un ami, c’était un compagnon de la première heure, un camarade de toutes les bagarres, un écrivain plein d’esprit, d’un humour parfois grinçant, un musicien et compositeur qui nous a procuré beaucoup de bons moments.

Je vais tenter ici de retracer brièvement quelques-unes des étapes de sa vie qui ont marqué notre chemin commun.

Nicky Busch est né en 1948 aux Etats-Unis où son père, le violoniste de renommée mondiale Adolf Busch, avait émigré. Après la mort de ce dernier, sa mère, médecin, s’est installée avec ses deux petits garçons en Suisse d’où elle est originaire. Pendant ses études de droit, il rejoignit le mouvement d’étudiants né à Bâle après les événements de mai 68. Dans le climat libéral de cette ville, le mouvement a pu se développer et réunir de nombreux jeunes universitaires mais également des apprentis, des lycéens, des jeunes ouvriers. Hydra fut fondé après l’arrivée en Suisse du groupe autrichien Spartakus. Nicky relatait ainsi cette période:

«Hydra était composée à 80 pour cent d’apprentis. Les autres étaient des étudiants qui ‘découvraient’ les apprentis. Ils étaient choqués d’apprendre la situation dans les entreprises car en Suisse les enfants étaient séparés dans les écoles et il n’y avait que très peu de contacts entre classes sociales.

Hydra était une organisation d’apprentis. Ils travaillaient selon des méthodes traditionnelles syndicales. Ils rédigeaient des rapports avec des témoignages sur la mauvaise formation, l’exploitation, etc.

Au cours de ces actions nous nous sommes rendu compte que des résultats concrets naissaient un sentiment de force et une véritable volonté de changement. Hydra critiquait le mouvement allemand de 68 pour ses envols théoriques et sa distance par rapport à la population. Les rapports des apprentis étaient compréhensibles, car ils les rédigeaient eux-mêmes. Ils voulaient gagner la sympathie de cercles libéraux de gauche, de bourgeois et n’avaient pas peur des contacts avec les milieux conservateurs.

Hydra voulait montrer des exemples concrets et non pas seulement faire des théories.» 1

Au printemps 1973, Hydra et Spartakus lancèrent le mouvement de coopératives européennes Longo maï. Les frères Thomas et Nicky Busch apportèrent leur héritage, une maison à Bâle, pour l’achat des premières terres en Provence. Les étudiants et apprentis apprenaient les travaux de la terre, Nicky était un tractoriste et un violoniste passionné. Le «Groupe culturel de Longo mai», plus tard Comedia Mundi, est né qui a accompagné Longo mai tout au long de son existence avec beaucoup de musiques et de chansons mises en musique par Nicky.

Mais très vite, ce fut le départ pour le Chili. Dans le cadre de l’action «Places gratuites», la délégation suisse dont il faisait partie réussit à faire sortir quelques milliers de Chiliens fuyant la répression après le coup d’Etat d’Augusto Pinochet. Ces personnes avaient été accueillies par quelques dizaines de communes suisses et autrichiennes en dépit du refus initial de leurs gouvernements respectifs.

Par la suite, Nicky a toujours été de toutes les actions de solidarité. En tant que juriste, il se penchait plus spécialement sur les lois qui restreignaient les libertés des personnes, que ce soient des jeunes révoltés, des militants politiques, des immigrés ou des réfugiés. Il a rédigé de nombreuses brochures éditées à l’époque par le CEDRI, le Comité Européen de Défense des Réfugiés et Immigrés, notamment sur les suites du coup d’Etat militaire en Turquie – l’arrivée de nombreux Turcs et Kurdes en Europe de l’Ouest, et les restrictions du droit d’asile en particulier en Allemagne et en Suisse.

En 1984, le colonel Otelo de Carvalho, principal stratège de la Révolution des Œillets qui, le 24 avril 1974, avait libéré le Portugal de

48 ans de dictature, fut arrêté avec 72 membres de son parti FUP et accusé d’avoir fondé et dirigé une association terroriste. Le procès qui suivit mena Nicky à une étude comparative des lois antiterroristes européennes. Dans le cadre d’une action internationale à laquelle participaient de nombreux juristes, artistes et militants de toute l’Europe et des Etats-Unis, ce procès a été dénoncé comme une farce, l’opinion publique a été alertée par rapport au danger présenté par des lois permettant d’emprisonner des personnes pour des délits d’opinion, et Otelo a été libéré au bout de cinq ans de prison.

Peu de temps après, Nicky partait en Suède avec sa femme Karin et leurs enfants. Il voulait «aider à faire bouger quelque chose là-bas.» Selon lui, «même des pingouins couverts de glace pouvaient être politisés (avec beaucoup de patience), et il y en a qui ont déjà commencé à fondre…» 2.

En Suède, Nicky et Karin se sont beaucoup occupés de réfugiés menacés d’expulsion, notamment de Kurdes: «Un travail de fourmi pénible, mais de temps à autre on peut sauver quelques personnes». Il écrit sur ce pays: «La vraie confrontation politique sur le thème des réfugiés et du conflit Nord-Sud n’a pas encore eu lieu ici. 60 ans de social-démocratie ont totalement démobilisé les gens. Bien qu’ici aussi les différences sociales s’aggravent chaque jour, il faudra encore beaucoup de temps avant qu’une résistance se fasse sentir. Thomas Harlan avait raison: un cimetière d’éléphants…» 3

Pendant plusieurs années, Nicky a édité des lettres circulaires «Fortress Europe?» dans lesquelles il continuait de dénoncer les nouvelles lois européennes et la construction d’une Europe fermée aux «étrangers», surveillée par un système de contrôle policier de plus en plus perfectionné. Il écrivait beaucoup et donnait des conférences, notamment en Suède: «Les gens commencent à comprendre tout doucement que l’harmonisation européenne n’apportera pas que de la bière meilleur marché…» 3

Dans le cadre d’un séminaire sur le thème «Hannah Ahrendt et le monde d’aujourd’hui», Nicky écrivit une contribution «Sommes-nous en train de devenir des sans-Etats» où il exposait l’analyse de Ahrendt sur le totalitarisme et ses origines. Il voyait dans ses travaux: «des éléments d’explication de phénomènes de société pathologiques qu’on pouvait croire disparus dans les démocraties européennes de l’après-guerre, mais dont on doit aujourd’hui constater la résurgence rapide».

Et il conclut: «Une chose est sûre: si nous nous limitons à un constat tragique, nous risquons de nous figer dans une attitude d’impuissance à tel point intériorisée que notre capacité de penser et d’agir s’en trouverait paralysée. Ainsi nous accepterions nous-mêmes ce contrôle des âmes sur lequel se fonde le totalitarisme post-industriel. Une réflexion au service de l’action doit donc se poursuivre…)4 .

Sa dernière bagarre portait sur le projet de Constitution européenne. Sur une vingtaine de pages il avait expliqué, démonté et critiqué ce projet. Deux semaines avant le référendum en France, il avait participé par téléphone à une émission de Radio Zinzine sur ce sujet. Il aurait été content de savoir que les Français ont voté non le 29 mai…

Soudain un silence, difficile à réaliser, impossible à comprendre. Nicky nous a laissé de nombreux écrits et beaucoup de belles musiques, la musique qui, à son grand regret, a pris trop peu de place dans sa vie. Il nous a laissé aussi des idées, des projets, un effort permanent d’entretenir des liens, des réseaux, malgré un certain pessimisme politique (compréhensible), mais toujours avec humour, même dans les heures les plus difficiles.

Trixie Graf

FCE - Longo maï

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  1. Interview réalisée en novembre 2002, publié dans mon mémoire sur la Coopérative Européenne Longo maï, Université d’Aix-en-Provence, juillet 2003

  2. Extrait d’une lettre écrite en 1990

  3. Extrait d’une lettre écrite en 1991

  4. Archipel No 49 et 50, 1998