BOLIVIE - Voyage au pays de la coca

von David Giraud, 14.03.2006, Veröffentlicht in Archipel 135

Villa Fatima, dans les faubourgs de La Paz. Principal lieu de commercialisation de la feuille de coca. C'est l'un des passages obligés des 8.000 cocaleros (planteurs de coca) des Yungas, région du Nord-Est aux collines verdoyantes. 23 millions de livres (environ 11.500 tonnes) se sont vendues cette année, entre janvier et octobre. Dès 4h30, les premiers producteurs débarquent des Yungas, premier lieu de culture. Assommés et fourbus par le trajet, près de 90 kilomètres, entassés les uns contre les autres à l'arrière d'un camion, ils ont dû emprunter l'une des routes les plus périlleuses de Bolivie, véritable royaume des nids de poules, des ornières, au bord d'à-pic vertigineux. Les plus fortunés arrivent en voiture, tandis que d'autres ont opté pour les taxis, remplis à ras bord de sacs de cocas.

Villa Fatima, c'est une sorte de grand bazar. Sous les yeux blasés des habitants de ce quartier populaire de la cité andine se déroule un joyeux capharnaüm, un incessant va-et-vient de chalands, marchands et autres manœuvres. Dans l'enceinte du marché, neuf salles d'achat et de vente aux murs blancs décrépis accueillent la cohue. L'odeur de la coca flotte au milieu des cocaleros et des négociants. Aux acheteurs, les detallistas , se mêlent les taciseros , ces employés du marché qui apportent les sacs en fibre plastique bourrés de feuilles de coca.

Si les quantités sont importantes, c'est parce que les feuilles vertes de l'arbuste aux fruits rouges et jaunes sont consommées dans tous le pays. Présente dans la grande majorité des rites religieux, dans les caveaux lors des enterrements, en cadeau de mariage ou pour l'arrivée d'un invité, la coca est sacrée pour les indigènes Aymara et Quecha qui représentent les deux tiers des 8,5 millions de Boliviens. Au fond des mines de Potosi, qui fut jadis l'une des villes les plus riches du monde, les travailleurs du sous-sol la mâchent pour oublier la douleur, à près de 4500 mètres d'altitude, et 45 degrés. On l'utilise sous forme de shampoing, contre le soroche (le mal des montagnes) ou dans les galettes de quinoa. Les diseuses de bonne aventure prétendent même lire l'avenir dans les feuilles de coca, étalées sur des morceaux de tissu andin.

Au marché Chemise verte, jean sombre, Fermin Pilco surveille d'un œil distrait le trafic. Assis sur une chaise à l'entrée des bâtiments, l'inspecteur de l'Association départementale des producteurs de coca (ADEP) recueille les documents nécessaires à la vente de coca. «Le représentant du producteur doit pouvoir chiffrer la quantité de marchandises, prouver sa provenance, et indiquer le moyen de transport de la récolte.» Une fois la paperasse dûment fournie, le représentant peut librement circuler à l'intérieur du marché.

Sous les yeux des agents en vert, les cocaleros venus parfois avec leur famille présentent leur marchandise. Contre le mur, une ardoise qui donne quelques indications des prix. Ils sont à la baisse en ce moment, car il y a afflux. Au milieu du vacarme, les acheteurs, souvent des femmes, se frayent un passage, discutent avec les paysans, plongent leurs mains dans les sacs afin de vérifier la qualité de la marchandise proposée. Si l'affaire se conclut, les protagonistes font peser les cargaisons: l'unité, c'est le taci , c'est-à-dire un sac de 50 livres, soit environ 25 kg. Vendeur et acheteur ont au préalable présenté leur carte respective. Une fois la transaction accomplie, Arturo Dehesa, jeune producteur des Yungas, retourne chez lui, à Villa Remedios. Comme toujours, il a écoulé toute sa récolte, soit 150 livres.

Rolando Loiaxa, un acheteur de Potosi, se dirige lui vers la sortie, où l'attendent les fonctionnaires de la Direction générale de la coca (DIGECO).

Ils vérifient les autorisations des acheteurs, la quantité achetée (pas plus de 10 tacis achetés par mois) ainsi que la destination des marchandises. Lorsque les papiers sont en règle, les sacs en attente de chargement peuvent sortir du marché. Des policiers en civil et en uniforme rôdent à la sortie de l'établissement. Un système en apparence bien surveillé. Mais des questions subsistent. Du côté de l'entrée, on aperçoit plusieurs personnes ressortir avec des sacs visiblement remplis de feuilles de coca.

«En fait, n'importe qui peut venir acheter sa livre de coca, au détail, sans avoir à remplir toutes les autorisations nécessaires» , indique l'agent de l'ADEP qui gère les entrées. Mais si l'individu revient tous les jours pour acheter une quantité inférieure à la limite autorisée, à la fin du mois, cela peut représenter un pécule non négligeable pour qui voudrait vendre cette coca à des narcotrafiquants? L'employé de l'ADEP sourit. «A l'extérieur, il y a des policiers qui surveillent: ceux qui font ce genre de va et vient le font à leurs risques et périls.»

Un coup d'œil rapide donné dans la rue attenante permet de voir que les effectifs ne sont pas aussi nombreux qu'il le laisse entendre. On y aperçoit les chauffeurs de camions ou de pick-up qui attendent patiemment les déchargements, les fonctionnaires du marché en train d'avaler une soupe, assis à l'une des nombreuses tables ambulantes dressées le long des trottoirs de la rue. Il y a bien deux agents de police au loin, mais ils semblent davantage s'occuper de la circulation du boulevard.

Firmin, qui gagne 600 bolivianos (environ 60 euros), soit à peine le salaire minimum, finit par reconnaître «qu'il y a de la corruption aussi parmi les agents. Il faut dire que l'on gagne des salaires de misère. Alors il y en a qui sont tentés de fermer les yeux».

Au deuxième étage, des familles regardent la télévision, d'autres somnolent sur des matelas. Certains resteront plusieurs jours. Non loin de là, la direction du marché.

Adolfo Condori est bien conscient des imperfections et des tares de son établissement. «Nous souhaiterions disposer de davantage de moyens» affirme le responsable «pour mieux payer le personnel de surveillance, ce qui limiterait la corruption, mais aussi pour augmenter lesdits contrôles». Mais pas seulement dans sa partie, aussi chez les autres, notamment près du siège de la fédération des détaillistas , place Harendia, un lieu de trafic nocturne où l'on vend de la coca illégale, probablement à des narcotrafiquants.

Nombreux sont ceux qui s'étonnent du laxisme dont font preuve les autorités en ayant laissé se développer un second marché.

Dans les Yungas Loin de ces considérations, Arturo Dehesa est rentré chez lui, à Villa Remedios, dans les Yungas, à moins d'une centaine de kilomètres, au Nord Est de la Paz. Il vit dans la concession familiale de son père avec sa femme et ses deux enfants, à quelques encablures des plateaux andins. C'est un pays de collines verdoyantes, au climat chaud et humide, paradis des papillons et terre des dévoreurs de mangues. Ici, à près de 2.000 mètres d'altitude, sous un ciel plombé, on cultive la coca à côté des bananes, des papayes et du café.

Arturo s'est endetté pour s'acheter un petit lopin de terre, trois hectares dans la vallée. Le petit homme musculeux a dû débourser 3.000 dollars (2700 euros), une somme considérable pour un petit cultivateur de coca. Son lot est situé en contrebas de la colline, près du Rio, le repaire des boas, dit-on. «Ici, la coca rapporte moins que 200 mètres plus haut» , explique-t-il «mais ça me permet quand même de vivre». Point d'immeubles, de gratte-ciels, la seule richesse ici, c'est la terre. Il y a bien quelques mines d'or mais elles n'emploient pas grand monde. Depuis la révolution agraire de 1952, chacun peut posséder son terrain, fini le règne des grands propriétaires à qui on devait des impôts en nature et des journées de travail. Mais d'autres difficultés sont apparues, avec le temps. La terre se raréfie. «J'arrose de temps en temps les plants» , indique le jeune trentenaire en pointant les tuyaux qui descendent le long des allées «ainsi ceux qui utilisent l'irrigation l'hiver, durant les mois de sécheresse, font de bonnes récoltes.» En pleine saison des pluies, au sein d'une région plutôt humide, ce discours peut surprendre. Mais il semble que cette pratique ne date pas d'hier. «Ce sont les anciens qui avaient recours à l'irrigation» , révèle Arturo. A travers les champs, à flanc de collines, l'homme au chapeau de paille pénètre dans une petite forêt, parcourt une cinquantaine de mètres à l'intérieur, puis s'arrête. Il désigne des éléments grisâtres, alignés verticalement, envahis par les mousses et les feuilles. Des constructions en pierre quasi invisibles dans toute cette végétation. «Ici, les Incas gardaient l'eau sur les parcelles de coca grâce au système de construction en terrasse», raconte fièrement Arturo. «Ce type d'architecture permettait de conserver l'eau qui dévalait la pente jusqu'à la rivière, en bas. La technique s'est perdue, néanmoins, il reste encore quelques pierres pour témoigner de ce passé.»

L'arrosage n'est donc pas une lubie surgie du cerveau de cocaleros désireux d'accroître à tout prix le rendement. Et pourtant la productivité de leurs plants préoccupe beaucoup les producteurs des Yungas qui n'ont pas tous la même chance. Les potentialités des terres ne sont pas les mêmes, que l'on soit à Chulumani, Coripata, ou à Asuntas dont la terre plus riche, plus arrosée, permet d'obtenir cinq, voire six récoltes annuelles contre quatre pour les autres. Si l'on compare avec le café (une seule récolte), c'est tout vu. Les cocaleros ont bien des petits élevages de poulets et quelques brebis, mais l'essentiel des ressources, c'est la coca.

Entraide La journée de travail a beau avoir démarré avec les premières lueurs du jour, il va falloir turbiner jusqu'au crépuscule. Heureusement, Arturo peut compter sur Juan-Carlos Perdero, venu l'aider sur son champ. Juan Carlos est ce qu'on appelle un jornalero , un journalier qui vend sa force de travail pour un autre. A certaines périodes de l'année, il n'est pas rare de voir débouler de l'altiplano des journaliers venus pour la récolte. Mais le métis afro-indien est un cas un peu différent. «Je possède un petit terrain du côté d'Irupana, où je réside, mais je ne m'en sors pas sans extra. Alors, je viens travailler ici pour 40 bolivianos par jour

(4 euros), le gîte et le couvert.»

Les deux hommes se connaissent bien. Ils partagent non seulement le travail, mais aussi une origine commune. Tous deux sont issus de la communauté afro-bolivienne. Les Noirs d'Afrique furent d'abord envoyés dans les mines d'argent de Potosi, au centre du pays. Les esclaves succombant par dizaines de milliers dans les mines, en grande partie en raison des conditions de travail effroyables, les conquistadors décidèrent de les «muter» vers les Yungas, région beaucoup moins élevée et ressemblant davantage à la zone tropicale humide africaine. Au fil des siècles, ils ont récolté la coca mais ne sont réellement libérés de l'esclavage qu'en 1952. Ils ont recréé un style musical, la Saya, et gardent encore quelques rites comme l'élection de leur roi.

De l'entraide, il en faut ici. C'est une nécessité. Le père d'Arturo, Bonifacio Deheza, 69 ans, est inquiet. Il cherche des bras pour la récolte de demain. Les feuilles de coca sont à la bonne taille, et en ces temps de forte pluie, chaque jour perdu peut s'avérer dramatique. Alors il demande à tout va, aux hommes, aux femmes, les principales mains de la récolte.

Courbés dans les champs, avec un grand drap autour de la taille dans lequel ils glissent les feuilles, les travailleurs cravachent sous la chaleur. Les pauses sont courtes, parfois imposées si la pluie s'en mêle. On mâche la coca pour moins ressentir la fatigue. On commence souvent la journée de travail, avec une boulette, comme les mineurs. «Citer les nombreuses vertus de la coca serait trop fastidieux» , relève le docteur Jorge Urtado, médecin et universitaire spécialiste de la petite feuille verte «on l'utilise contre les effets de l'altitude, elle augmente la tolérance à l'effort, sert de coupe-faim car elle a d'énormes qualités nutritives. Riche en vitamines, elle possède des teneurs importantes en protéine, en fibres, en fer» . Problème, elle peut parfois donner l'illusion qu'elle se suffit à elle-même, ce qui entraîne des cas de malnutritions, notamment dans les mines, haut lieu de consommation.

Chaque linge rempli de feuilles est vidé dans un sac plastique que l'on apporte jusqu'au cachi , l'aire de séchage, composée de pierres noires ou d'une simple toile, et légèrement inclinée. Au bout d'une dizaine d'heures, la feuille est prête à l'usage. Les familles en gardent une partie pour leur consommation propre, le reste partira vers le reste du pays, via des grossistes qui achèteront la production à Villa Fatima. Certains entassent les productions dans des entrepôts à Chulumani, la ville la plus proche. Arturo retournera au marché de la Paz dans une semaine. Après sa journée, il sirote un jus de mangue avec du lait, dehors dans la cour, à la lumière de l'ampoule.

Coca no es cocaïna «Quand on voit cette plante» , reprend Arturo en mâchouillant quelques feuilles, «on imagine mal l'utilisation qu'on en fait en Europe ou aux Etats-Unis» . Comme un écho à la phrase sans cesse martelée par Evo Morales: «coca no es cocaïna» . Elément incontournable de la vie des Boliviens, la coca reste très mal perçue à l'étranger. Diabolisée, trop vite assimilée à la cocaïne, qui résulte d'une transformation chimique de cette plante. Alors les Boliviens en ont marre d'être montrés du doigt, pris pour des trafiquants. La coca est cultivée sur plus de 27.000 hectares dans le pays, par des petits paysans, depuis plusieurs siècles. En tous les cas, ici nulle trace de transformation de la coca en cocaïne (il en faut 323 kg pour 1kg de cocaïne). «Ce n'est pas notre culture» , assène Juan Carlos, «on mâche et on en produit pour tout le pays qui préfère les petites feuilles caractéristiques chez nous, si savoureuses au palais. De toute façon, au prix où coûtent les produits chimiques pour la transformer…» . Pour obtenir la cocaïne, on commence d'abord par faire macérer les feuilles de coca afin d'extraire l'alcaloïde, puis on purifie le produit avec de l'acétone, l'acide chlorhydrique, le permanganate de potassium, au total une vingtaine de composants. Des marchandises importées qui font l'objet de contrôles importants.

«Si on voit des cocaleros qui font de la cocaïne, on les dénonce» , ajoute Prudencio Gracia, ancien syndicaliste et cultivateur de Villa Remedios aussi. Avec à la clé, une «récompense» de 120 euros. Mais les cas sont rares ici. S'il existe quelques puits de macération, notamment dans le Nord, les Yungas restent l'une des régions les plus épargnées par la cocaïne. La production de cocaïne a souvent été assimilée à la région du Chapare, plus à l'est du pays, une zone quasi incontrôlable pendant longtemps, même si de l'avis de la plupart des experts, elle tend à se stabiliser. «Les trafiquants semblent migrer depuis peu vers d'autres zones» , indique le Colonel Machado, de la Force spéciale de lutte contre les narcotrafiquants (FELCN) «ils lorgnent vers les forêts vierges du Beni, plus difficile d'accès, peu peuplées, donc plus sûres pour la transformation» . Depuis 1997, les gouvernements ont éradiqué des dizaines de milliers d'hectares de coca «excédentaires» , c'est-à-dire au-delà du plafond, 12.000 fixé par la loi 1008 de 1988 qui prétend maintenir seulement la coca à usage traditionnel et médical. Dans le Chapare, le gouvernement de Carlos Mesa a accordé aux planteurs une autorisation temporaire de 3200 hectares. A l'heure actuelle, on estime, selon la FELCN et l'office de l'ONU pour les drogues, que la coca est cultivée sur près de 27.000 hectares dont 17.000 dans les Yungas.

Programmes alternatifs Les programmes de développement alternatif, financés en grande partie par Washington, n'ont pas donné de grands résultats. «Il y aurait bien la possibilité de cultiver davantage ici l'ananas, les bananes, le café, et de tirer parti de la production de jus de mangues déshydratées» , estime Arturo, en contemplant ses champs «le problème c'est que le prix de ces produits est dérisoire, ici et sur les marchés mondiaux» . En outre, les agriculteurs ont peu d'informations sur leurs cultures (entretien, parasites, organisation des sols). Comme les routes et les industries, les ingénieurs agronomes font défaut. Dans ces conditions, il est difficile de cultiver autre chose. De ne pas succomber à la tentation du tout coca, voire de s'adonner à la production de cocaïne, manne financière providentielle.

Troisième producteur mondial de cocaïne, la Bolivie ne peut passer ce chiffre sous silence. Les autorités ont beau rappeler que le pays est une zone de transit de la drogue venant du Pérou et du Brésil, une partie importante est faite sur place dans des laboratoires clandestins. Difficile de l'enrayer car la corruption ronge toujours les services de sécurité et l'administration. L'Etat a toutes les peines du monde à lutter contre le trafic. Il a bien la FELCN, mais ce groupe de 1700 agents environ est controversé. Sa proximité avérée avec les Américains, notamment de la DEA, n'est guère appréciée et ses opérations d'éradication forcées, le plus souvent des incendies de champs de coca, passent mal auprès des cultivateurs. Fondée en 1986, la FELCN traque les trafiquants de cocaïne mais aussi les producteurs de coca excédentaires. Cette année, elle se satisfait de son bilan. Son chef, le colonel Luis Caballero, exhibe fièrement les chiffres de cette année: record de saisies (près de 10 tonnes de cocaïne, plus de 6.500 opérations, de nombreux clans arrêtés, etc.).

Des résultats qui ne convainquent guère. «La plupart du temps» , indique Dionisio Nunez, député des Yungas et cocalero, «ils n'arrêtent que des citoyens de troisième zone, le détenteur d'une faible quantité, un petit transformateur dans un puits de macération, jamais les gros» .

«Et puis c'est toujours dirigé contre les producteurs, jamais contre les blanchisseurs, sans compter que sans marché extérieur, il n'y aurait pas de cocaïne» , ajoute-t-il.

Il faut dire que la lutte contre les narcotrafiquants menée par les gouvernements est plutôt regardée avec scepticisme, tant les uns et les autres ont été liés par le passé. Des photos montrant des barons notoires de la drogue avec des présidents ou des ministres en passant par les saisies malencontreuses de cocaïne dans les hautes sphères, la liste des scandales est longue.

Dans les Yungas, on garde des souvenirs plutôt douloureux des interventions musclées des anti-trafiquants. En 1982, lasse des exactions, la population de Villa Remedios, où habite Arturo, s'est soulevée contre le système mafieux de gestion de la production. Le sang a coulé et Villa Remedios s'était transformée en champ de bataille. Un souvenir encore bien vivace parmi la communauté.

Certains se demandent même si la fameuse loi 1008 n'a pas été servie sur mesure pour les narcotrafiquants. Le candidat conservateur Jorge Quiroga, alias Tuto, ne comptait pas modifier cette loi controversée. Evo Morales le souhaite, au grand dam des Américains qui redoutent un accroissement spectaculaire de la production de cocaïne.

En tout cas, l'ancien dirigeant du syndicat des planteurs de la région de Cochabamba a bien l'intention de prendre le problème à bras le corps. Les premières déclarations du vainqueur du scrutin intronisé le 22 janvier, ont été tranchantes. «Vive la coca, non aux Yankees!» a-t-il déclaré deux jours après le premier tour, lors d'une conférence de presse. L'indien Aymara a-t-il l'intention de défier les Américains, sur un terrain éminemment sensible? Le pays le plus pauvre d'Amérique du Sud peut-il se passer de l'aide au développement des USA?

En fait, Evo Morales Ayma va surtout chercher à entraîner les autres pays andins avec lui, pour éviter le face à face avec les Etats-Unis et chercher des appuis ailleurs, en Europe notamment. Ainsi, l'Etat bolivien enverra une délégation officielle au sommet des producteurs de coca qui se tiendra à Lima au mois de février prochain. En outre, le chef de l'Etat désire lancer une vaste étude sur la consommation réelle dans le pays. «Avec tous les producteurs et les détaillistes mais aussi les associations de consommateurs» , précise Dionisio Nunez «pour revoir probablement à la hausse les chiffres sur lesquels la loi 1008 s'était appuyée» .

«En fait, tout dépend aussi de son équipe de travail, s'il va au bout de ses idées, ce qui n'est pas sûr» , prévient un fin connaisseur du dossier. A terme, le leader indigène souhaite la dépénalisation de la coca à l'échelon international. Mais il reste trois ans avant le prochain débat sur la convention de 1961 des Nations Unies qui a établi la liste des produits stupéfiants. En attendant, la feuille pluriséculaire aux vertus étonnantes n'a pas fini de faire parler d'elle.

David Giraud

Journaliste

3 janvier 2006

<dgiraud@e-ipj.org>