COLOMBIE: Guerre ou Paix? Telle est la question…

von Cynthia OSORIO Economiste de l'environnement Association Los Pies en la Tierra – Les Pieds dans la Terre, 07.08.2017, Veröffentlicht in Archipel 261

En Europe, quand je raconte que je viens de Colombie, deux images surgissent immédiatement dans la tête des gens peu informés: violence et drogue. Ils me demandent si ce n’est pas trop dangereux de vivre dans ce pays. Les plus informés me demandent ce qu’il en est du récent processus de paix avec l’espoir que la violence ait cessé, en prenant en compte le fait que le pays vit une situation de guerre civile depuis les années 1940.

Cet article analyse quelques chiffres aidant à contextualiser et tente de comprendre cette situation, mais au final apparaissent plus de questions que de réponses.
Vivre en Colombie est-il dangereux?
Cela dépend pour qui. La population actuelle en Colombie est de 46 millions d’habitant·e·s. Selon les chiffres officiels1, en 2016, il y a eu 11.585 homicides (ce chiffre diminue: en 2014, on en enregistrait 13.343 et en 2015, 12.193). Cyniquement, nous pourrions dire qu’il y a une grande probabilité de ne pas se faire tuer.
Cependant, la réponse qu’il convient d’apporter quant à la violence en Colombie est toujours «Oui»: 32 homicides par jour, cela fait beaucoup pour un pays. D’une manière générale, ces morts sont officiellement attribuées à la violence urbaine, au trafic de drogue, à la pauvreté, à la disponibilité des armes,… sans entrer dans une analyse plus approfondie. Avant le processus de paix commencé en 2014, la violence existante était attribuée aux FARC2 . Après le cessez-le-feu et la signature des accords de paix, on constate toujours beaucoup d’assassinats et de violences dans le pays. Ainsi, étrangement, il semblerait que la violence en Colombie n’est pas essentiellement due aux FARC, comme cela était depuis toujours véhiculé par les médias.
L’année 2016 a été appelée l’année de la paix en Colombie puisqu'elle a vu se concrétiser la signature des accords de paix entre la guérilla la plus ancienne et la plus grande d’Amérique latine et le gouvernement colombien (et à sa tête Juan Manuel Santos, qui, en conséquence, a reçu le Prix Nobel de la Paix) afin que cette guérilla dépose les armes et puisse rentrer dans les institutions politiques.
Le processus de paix: facteur de diminution des violences?
La réponse est à nouveau «ça dépend…». Les morts aux combats et certains types d’assassinats ont diminué mais si l’on regarde ce que l’on appelle les «meurtres sélectifs» de leaders sociaux et de défenseurs des droits humains, on constate une augmentation: en 2009, 53 morts; en 2012, 109; en 2015, 105; en 2016, 120; cette année, jusqu’en avril 2017, on en comptait 42. En mai 2017, les mouvements sociaux ont porté collectivement plainte devant le procureur général pour plus de 500 menaces de morts, 33 tentatives d’homicide et 5 disparitions récentes. Toutes ces agressions se concentrent principalement, à 70%, dans le secteur rural.
On comprend la gravité de ces actes par leur systématisme, il ne s’agit pas de cas isolés. Ils sont tous en lien avec des processus de luttes pour la défense de territoires, contre l’extractivisme et pour la justice. L’objectif de ces meurtres est double: tuer et intimider les autres leaders. Cependant, la réponse institutionnelle est: «les crimes se concentrent dans les zones anciennement occupées par les FARC. Ces lieux sont en train d’être occupés par les Autodefensas Gaitanistas, l’ELN et d’autres groupes irréguliers.»3, selon la Defensoria del Pueblo4.
Dans le contexte du «processus de paix», que l’on appelle plus précisément de «post- conflit», un des points accordés est qu’en Colombie, personne ne doit se faire tuer pour avoir défendu ses idées politiques. Néanmoins, on constate que la probabilité de mourir augmente dangereusement quand les personnes défendent la justice, l’environnement, le territoire, les ressources naturelles, contre la corruption.
Pourquoi ces chiffres ont-ils augmenté après le début du processus de paix? Cela ne devrait-il pas être le contraire?
Regardons maintenant d’autres chiffres peu diffusés et qui devraient avoir plus de visibilité au milieu d’un processus de paix: le nombre de déplacé·e·s intérieurs a augmenté dramatiquement. Avec 6,9 millions de personnes en juin 2016, l’ONU a déclaré la Colombie pays avec le plus grand nombre de déplacé·e·s intérieurs dans le monde!5 La Syrie en compte 6,6 millions et l’Irak 4,4 millions. En 2013, leur nombre était alors de 5,3 millions en Colombie. Depuis, il y a eu plus d’un million de cas, ce qui a contribué à placer la Colombie devant la Syrie, qui enregistrait en 2013 6,5 millions de déplacé·e·s interieurs. Dans les trois premiers mois de 2017, on compte plus de 3500 paysan·ne·s déplacé·e·s concentré·e·s sur la côte Pacifique. Est-il logique que cela arrive au milieu d’un processus de paix signé avec une guérilla née pour défendre les paysan·ne·s, les terres agricoles et qui a toujours voulu obtenir une réforme agraire?
Ces déplacé·e·s ont laissé derrière eux et elles plus de 10 millions d’hectares de terre. Le soupçon le plus évident pourrait se diriger vers ceux ou celles qui occupent les terres abandonnées par ces déplacé·e·s. Actuellement, ces terres sont principalement occupées par des grandes entreprises qui y cultivent des palmiers à huile, qui font de l’extraction minière, d’or et de charbon principalement, ou qui sont des lieux stratégiques pour la production et l’approvisionnement de cocaïne. Ces projets sont associés aux meurtres de leurs opposant·e·s mais également de ceux ou celles qui souffrent de leurs activités: le cas le plus flagrant est la mine de Cerrejon dans La Guajira, où 106 enfants sont morts de malnutrition dans la communauté indienne Wayuu entre 2015 et 2016. Ce qui n’est pas dit, c’est que ce projet a dévié les rivières traditionnellement utilisées par la communauté pour la production de charbon en laissant cette communauté sans eau, c’est-à-dire sans possibilité de pratiquer l’agriculture et la pêche, par conséquent sans nourriture.
Plusieurs questions apparaissent: quels sont les intérêts des multinationales dans le processus de paix qui n’a pas été arrêté malgré de nombreux obstacles? Quelles sont les responsabilités de ces entreprises qui s’installent sur les terres «abandonnées» par les déplacé·e·s? Pourquoi, quand on parle de «restitution» des terres6, on ne parle pas de rendre les terres qui ont du être abandonnées? Pourquoi n’y a-t-il pas de mécanisme pour sanctionner les entreprises sur leur possible participation dans des cas de violation des droits humains? Pourquoi l’armée colombienne payée avec les impôts des Colombien·ne·s est-elle utilisée pour accompagner et protéger des entreprises privées? (Selon le Cinep7, dans la dépossession des terres confluent la «présence de l’Etat, d’entrepreneurs ou prête-noms, et de différents groupes armés»8).
Qu’appelle-t-on la Paix?
Durant les derniers mois en Colombie, il y a eu des manifestations ou grèves de la part de la population de la côte Pacifique dans le but de dénoncer non seulement l’abandon par l’Etat, mais aussi la violence de ces déplacements et homicides et l’injustice face à l’absence de protection de la part des forces de sécurité. Les professeurs de l’enseignement public ont manifesté pendant presque un mois contre le manque d’investissement pour l’éducation, les étudiant·e·s et transporteur·euse·s aussi.
Les paysan·ne·s annoncent aussi de nouveaux blocages et des grèves. Dans tous les cas, le gouvernement a répondu avec une forte et violente répression. A la télévision colombienne, les images montrent la répression dans les manifestations… dans un Venezuela antidémocratique… Non, je ne me suis pas trompée, les médias montrent seulement ce qui se passe au Venezuela et très peu ce qui se passe dans les rues colombiennes.
On rêvait d’un processus de paix qui diminuerait les dépenses pour la guerre et augmenterait celles pour la santé et l’éducation. Le budget de la Défense a augmenté de 3% en 2017, il est le quatrième du continent américain après les Etats-Unis, le Canada et le Brésil. Le budget pour les investissements sociaux a diminué malgré la signature des accords. Peut-on appeler cela la Paix?
Notre réseau (RGSV9) dans tout ça
Pour l’instant, les semences ne sont pas les cibles principales de la violence en Colombie. Néanmoins, toutes les luttes sont liées. Beaucoup de gens qui appartiennent à notre réseau et à d’autres réseaux qui défendent les semences libres et la souveraineté alimentaire sont reliés à la défense du territoire (ils luttent pour la protection de l’eau, contre l’extractivisme, pour la récupération des terres des déplacé·e·s). Des gens proches de notre processus ont été assassinés, il y a des personnes menacées et même en prison pour leur participation dans les mobilisations et les grèves.
Notre travail de production, promotion et protection des semences autochtones et libres continue, ainsi que nos activités éducatives et la lutte contre les OGM. De plus en plus de gens sont intéressés et se joignent à notre réseau. Mais il est vrai que cette ambiance qui se tend provoque des difficultés et un certain malaise. Nous attendons que les différentes pièces trouvent leur place dans cette nouvelle réalité, dans ce jeu d’échec infini que semble être la guerre en Colombie.
Cynthia OSORIO
Economiste de l'environnement
Association Los Pies en la Tierra – Les Pieds dans la Terre
www.lospiesenlatierra.org

  1. http://www.eltiempo.com/justicia/cortes/muertes-violentas-en-2016-en-colombia-segun-medicina-legal-28797
  2. Forces Armées Révolutionnaires de Colombie, principale guérilla de Colombie.
  3. La presse officielle ne parle plus de groupes paramilitaires depuis le processus de démobilisation engagé par l’ex-président Alvaro Uribe en 2006, processus censé mettre fin à ces groupes.
  4. Institution gouvernementale chargée de la défense des droits humains en Colombie.
  5. Données recueillies entre 1995 et 2015.
  6. Cette restitution est partie prenante et stipule que les déplacés peuvent avoir accès à la terre. Le problème étant que les terres devant être partagées sont des terres en friche,il n’est nullement question de rendre aux déplacés leurs anciens terrains qui sont maintenant occupés par des projets mercantiles.
  7. ONG colombienne: Centre pour la Recherche et l’éducation populaire.
  8. http://pacifista.co/pro-que-estan-matando-a-los-lideres-sociales-hoy-uraba/

  9. Réseau des Gardiens de Semence de Vie. www.colombia-redsemillas.org