DOSSIER SANS - PAPIERS: Le long chemin

von Isabelle Sens FCE, 09.05.2010, Veröffentlicht in Archipel 96

A pied, dans des bateaux de fortune, ou par avion pour les plus débrouillards, ils et elles sont quelques dizaines de milliers à tenter chaque année de rejoindre sans autorisation préalable le territoire européen. Par ce simple fait, ils commettent, au terme actuel de la politique de Schengen, un crime passible au mieux d’expulsion, au pire de prison pour les récidivistes. Le terme du voyage est encore loin pour ceux qui échappent à la mort, à la police, à la détention et aux griffes de la mafia en apprenant à vivre dans la clandestinité. Le terme du voyage, c’est une reconnaissance légale de leur présence et dès lors, la possibilité de vivre hors du régime d’exception qui s’applique aux étrangers . Les 18 et 19 mai 2002 à Berne, la coordination nationale des Sans-Papiers et le Forum Civique Européen ont invité une centaine de participants de toute l’Europe pour analyser la politique de discrimination menée par l’Union et organiser une solidarité des luttes.

Depuis la première occupation d’église par des sans-papiers en France en 1996, plus aucun gouvernement d’Europe ne peut échapper aux conséquences de la fermeture des frontières commencée il y a près de 20 ans. Au prétexte de la crise économique, s’est installé peu à peu un régime d’exception à l’égard des étrangers au travers d’une série de lois qui fondent une inégalité de droit entre les ressortissants européens et les extra-communautaires. Ainsi, en Grèce en 1997, une loi de régularisation collective permettait de donner des papiers à 200.000 demandeurs sur près de 375.000 dossiers déposés. Mais ce choix politique n’a pas fait illusion longtemps puisqu’ils perdirent leur statut les années suivantes en raison de lois plus restrictives. En effet, le propre des politiques appliquées aux étrangers consiste à les maintenir dans un état de précarité quasi permanent, dès lors toute forme d’organisation collective pour défendre leurs droits devient un défi. On peut observer de plus près les motivations profondes qui amènent des élus et des administrations à poursuivre une stratégie de discrimination, quand, comme Marijke Byl venue de Hollande, on a tenté de chiffrer le bénéfice pour l’économie légale de l’emploi de main-d’œuvre clandestine. Dans le secteur horticole, qui nécessite un grand nombre d’employés, les entrepreneurs économiseraient jusqu’à 500 millions d’euros par an sur la main-d’œuvre agricole non déclarée.

Même si les pouvoirs publics tentent d’occulter les conditions de vie de ces esclaves des temps modernes, les différentes actions d’occupation et de grèves menées par les sans-papiers obligent les gouvernants à revoir leur stratégie. Ces derniers, dans leur approche à courte vue, proposent, comme en France, en Espagne et plus récemment en Italie, de nouvelles formes de contrats de travail, spécialement destinés aux étrangers, qui lient leur droit de séjour à la durée de leur emploi et ne leur permettent pas d’accéder au même régime de protection sociale que les autochtones.
Contrevenant à toutes les grandes conventions internationales qui ont pour mission de protéger les droits humains contre les abus de pouvoir économique ou politique, nous sommes en train de créer un régime d’apartheid sur le territoire de Schengen. Alors que les étrangers représentent à peine plus de 5 % de la population totale, ils évoluent dorénavant dans un climat de suspicion généralisée qui s’étend peu à peu à ceux qui les soutiennent et au-delà, à ceux qui réclament enfin les mêmes droits pour tous, que l’on soit ou non natif de l’Union Européenne. Cette dernière observation fut faite par Nicky Bush, nous informant que sur 1,3 millions de personnes signalées au Système d’Information Schengen, une majorité sont des étrangers dont le seul crime, encore une fois, est d’être venu sans autorisation. De plus, au prétexte de lutter contre le terrorisme, on voit s’étendre de nouvelles mesures de fichages et de coopérations policières internationales qui mettent en péril les libertés politiques de tous.
En conclusion de cette rencontre, plusieurs pistes de travail se sont ouvertes. Tout d’abord, mettre fin aux différents mensonges d’Etats qui nourrissent la confusion du public. Ainsi par exemple, depuis la soi-disant ouverture des frontières à l’intérieur de Schengen, on a vu le personnel de surveillance passer de 250 à 1000 pour contrôler la zone de passage entre la France, l’Allemagne et la Suisse. Il faut également expliquer qu’une majorité des personnes séjournant aujourd’hui sans statut légal ont eu des papiers qu’elles ont perdu au fil de lois toujours plus restrictives sur le droit de séjour. Il serait également bon de chiffrer, même approximativement, le bénéfice que des entreprises retirent en employant des illégaux. Ce travail d’inventaire long et coûteux pour des organisations presque exclusivement composées de bénévoles, pourrait se réaliser avec des syndicats. Et de manière générale, il faut lutter contre la division d’intérêts que les syndicats patronaux tentent de créer entre les salariés pauvres et les travailleurs non déclarés. Avoir un droit du travail, le même et le meilleur pour tous, est la base d’une lutte solidaire.
Dans le même temps les sans-papiers poursuivent leurs occupations, prenant des risques souvent peu reconnus par le public qui voit essentiellement en eux des fauteurs de trouble. Un intervenant espagnol proposa de coordonner nos manifestations à travers l’Europe, en provoquant des événements simultanés en solidarité avec des occupations qui se déroulent dans un des pays de l’Union.
De façon plus générale, il était clair qu’il faut amener nos concitoyens à comprendre que se montrer respectueux des étrangers ce n’est pas créer un appel d’air attirant toute la misère du monde, c’est simplement reconnaître à l’autre la dignité à laquelle on prétend pour soi-même.