«Des liens entre l'atome civil et l'atome militaire», Bruno Barrillot, éd. CDRPC/Observatoire des armes nucléaires françaises, 2005. Voici un petit livre qui a le mérite d'être à la fois synthétique et précis sur un sujet vaste et peu connu chez les anti-nucléaires.
L'auteur montre bien comment les liens entre le nucléaire civil et ses usages militaires existent, depuis la découverte de la radioactivité jusqu'à ses implications internationales aujourd'hui. Depuis les équipes de radiographie X envoyés sur le front de la guerre 1914-18 par Marie Curie jusqu'aux récents projets expérimentaux Laser Mégajoule et ITER du Commissariat à l'Energie Atomique (CEA), il expose comment tous les projets nucléaires civils ont servi de paravent à des applications militaires de l'atome et impliquent en retour des interventions militaires pour la sécurité de l'approvisionnement et des installations.
Plus particulièrement attentif à ce qui s'est passé en France, il retrace dans ses grandes lignes comment le CEA, dont le statut exceptionnel en fait un Etat dans l'Etat dès 1945, organisme «civil» à la base, a aussi spontanément que discrètement mis au service des militaires les savoir-faire et les équipements destinés à la constitution d'une industrie nucléaire pour l'édification en parallèle d'une force de frappe nucléaire – toutes deux indispensables à la «grandeur de la France» , comme on sait.
C'est que, du seul point de vue technique, la frontière entre nucléaire civil et militaire est très ténue. Et c'est là que réside l'hypocrisie du Traité de Non Prolifération (TNP) rédigé en 1968 par les cinq Etats possédant alors officiellement l'arme atomique: ce traité interdit aux autres Etats de développer un tel arsenal, tout en les autorisant à s'équiper de nucléaire «à des fins pacifiques», qui avec quelques modifications et équipements supplémentaires peut produire les matières nécessaires à la Bombe. Il n'était pas question pour les pays industrialisés de se fermer un si juteux marché. Aussi, trente-cinq ans après, ce TNP est évidemment un échec complet, la France n'ayant pas été la dernière à vendre ses centrales à Israël, au Pakistan, en Irak ou en Iran, introduisant ainsi la mèche nucléaire dans la poudrière du Moyen-Orient…
Pour empêcher cette prolifération, devenue encore plus dangereuse avec la menace du terrorisme international, les grandes puissances se lancent maintenant dans les «guerres du nucléaire civil» (seconde guerre d'Irak, menaces sur l'Iran et la Corée du Nord). Mais l'hypocrisie et l'inconscience sont toujours de mise puisque l'industrie nucléaire militaire continue d'innover en diversifiant ses produits. Ainsi, ce que des terroristes n'ont pas encore osé faire, à savoir utiliser des «bombes sales» faites de matières radioactives, l'OTAN et les USA l'ont déjà fait en utilisant les munitions à l'uranium appauvri au Kosovo et en Irak. De même, ce sont les Etats-Unis (ainsi que l'Europe, à travers les retombées probables des projets ITER et Laser Mégajoule) qui font des recherches sur les «mini-nukes», armes nucléaires de faible puissance à utiliser sur le champ de bataille…
La conclusion de Barrillot est claire et sans ambiguïté: pour arrêter la dissémination suicidaire des armes nucléaires et la dispersion morbide des radioéléments, c'est l'industrie nucléaire militaire aussi bien que civile qu'il faut remettre radicalement en cause. Il ajoute que c'est une «solution que les diplomates et les industriels ne sont pas prêts à promouvoir», sans parler des Etats et des militaires fascinés par la toute-puissance que leur confèrent ces engins. Mais face à tous ces «responsables» de la fuite en avant dans la monstruosité et ces «réalistes» qui s'identifient à la puissance qui les écrase, c'est la seule position raisonnable de ceux qui n'ont aucun pouvoir sur leur existence.
C'est tout le mérite de ce livre que de nous aider à mieux le comprendre.
Bertrand Louart
09/2005