LETTRE DE LECTRICE

von FCE, 14.06.2007, Veröffentlicht in Archipel 149

En réaction à l’article «Saddam, les chiites et les sunnites» paru dans le N° 146, février 2007.

Un passage de l’article de Abram Belkaïd m’a gênée à cause du vocabulaire employé:

«Ce qui était le plus frappant, ce fut, bien sûr, son calme face à l’agitation grossière de ses bourreaux. Marcher ainsi à la rencontre de son Créateur, sans peur visible, sans craindre la valetaille qui éructait autour de lui, tout cela a de quoi impressionner.»

Calme: En tant que psychothérapeute depuis longtemps, je demande:

Ne s’agit-il pas plutôt d’insensibilité, d’une incapacité psychique d’avoir des sentiments? Des graves symptômes de borderline ? Le blindage complet du caractère, la défense totale contre tout sentiment? (défense en tant que phénomène psychologique, à comprendre comme expression de l’inconscient, pas comme comportement conscient).

Dans cet article on peut comprendre le mot «calme» comme une vertu. Est-ce qu’un horrible dictateur, responsable de la mort de milliers d’êtres humains (et de bien d’autres choses encore), va calmement vers la mort, comme si il était en paix avec soi-même et avec le monde?

«Marcher à la rencontre de son Créateur» , depuis quand Saddam est-il connu comme croyant?, «a de quoi impressionner» , devons-nous l’admirer pour son comportement???

Une petite question encore: est-ce qu’à la fin, Saddam n’aurait pas reçu des calmants, bien dosés?

Je suis étonnée que la rédaction d’Archipel ait repris cet article sous cette forme dans ce journal précieux parce qu’il porte des jugements différenciés et ne condamne pas.

Merci de votre travail précieux qui s’exprime de manière agréable et modeste dans Archipel.

Avec mes meilleures salutations

Elfriede Stöckli

Zürich, 31.03.2007

J’aimerais apporter quelques précisions quant à l’exécution de Saddam Hussein le 30 décembre 2006 dans une caserne de Khadamia, au Nord de Bagdad.

Quant à la croyance de Saddam Hussein il l’a affichée à la fin de son règne. Etait-elle sincère ou pas je n’en sais rien et on peut imaginer qu’elle ne manquait pas d’opportunisme. Il arrive cependant que des non-croyants se mettent à croire juste avant «le grand saut». Au fond si je comprends bien, la crainte de notre lectrice serait que l’on idéalise ce «tyran». Et il est vrai que beaucoup de gens se sont mis à l’idéaliser à partir du moment où il fut attaqué par les puissances occidentales. Ce problème se pose souvent dès qu’une situation se polarise. La tentation est forte alors de prendre parti sans nuance. Le problème concernant l’exécution de Saddam est qu’au lieu de démontrer la criminalité de l’accusé elle a discrédité ceux qui l’on jugé ou fait juger. Même Tony Blair a qualifié cette exécution «d’inacceptable». Et Bush a dû reconnaître que la procédure aurait dû être conduite «de manière plus digne». En France c’est cette grande figure du droit qu’est Robert Badinter qui s’est indigné non seulement contre le principe de la condamnation à mort mais aussi à cause des irrégularités procédurales. Les deux seules ONG qui ont pu suivre le procès sur place, deux américaines, ont considéré que celui-ci n’a pas respecté les règles internationales, ni celles que le tribunal s’était données. L’une d’entre elles, Human Right Watch, a considéré le procès «foncièrement inéquitable» et réclamé l’annulation du verdict... Dans la revue «Esprit» (févier 2007), les juristes Antoine Garapon et Joel Hubrecht apportent d’autres précisions en soulignant que les poursuites se sont limitées à l’affaire de «Dujail», du nom de ce village où a eu lieu une tentative d’assassinat contre le «Raïs» en 1984, avant de féroces représailles, car pour l’administration Bush il s’agissait d’éviter de juger d’autres affaires, notamment les massacres, plus graves, qu’il a pu commettre lors de la guerre contre l’Iran. A cette époque il bénéficiait du soutien logistique de puissances occidentales…

Malgré cela le jugement de l’affaire de «Dujail» concernant l’exécution de 143 hommes, a été bâclé. «D’abord parce que certains documents n’ont pas été correctement authentifiés. Ensuite parce que si la réalité du crime a bel et bien été établie, d’un strict point de vue juridique, le rôle exact de Saddam Hussein et de ses sept co-accusés n’a peut être pas totalement été élucidé, faute d’avoir mis en lumière le fonctionnement du régime baasiste», disent Garapon et Hubrecht. Tout cela dans un contexte d’insécurité bien connu, un tribunal bunkérisé, deux juges qui démissionnent, la plupart des témoignages anonymes, etc. Restait encore un dernier manquement: celui de procéder à cette condamnation le jour de l’Aïd, fête du sacrifice, pour donner l’impression de mépriser les sunnites. De telles fautes auront sans doute conforté Saddam Hussein dans sa mauvaise foi et son prestige post mortem…

Alex Robin

Radio Zinzine

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La rédaction