MADAGASKAR: Place du 13 mai (2ème partie)

von Surnom de Ratsiraka, 09.05.2010, Veröffentlicht in Archipel 94

Après le premier tour des élections à Madagascar, les deux candidats se sont déclarés vainqueurs, ce qui a provoqué de grosses mobilisations dans l’Ile rouge. L’écrivain malgache installé à Paris, Jean-Luc Raharimana, nous brosse un tableau du contexte historique pour nous aider à comprendre cette situation complexe.1989, autres élections à Madagascar.

L’Amiral* avait passé déjà deux septennats. Brigue un troisième. La première fois que je votais. Bureau de vote sous haute surveillance des militaires. Collège d’Ambohipo, centre de vote des étudiants de l’Université. Ne fut ouvert qu’à 19 heures. Fermé à 21 heures.
Une queue monstre depuis le début de l’après-midi. Un cafouillage énorme. Nombreux ne parvinrent même pas à l’urne. Mes amis, pas en âge de voter, me confièrent la mission de voter pour un certain opposant. Ce que je fis. Décompte des voix. Nous chantions, chantions. A chaque bulletin sorti, brandi, exhibé.
«Une seule voix pour l’Amiral,
Ce n’est rien les gars,
Nous le rattraperons.
Deux seules voix pour l’Amiral,
Ce n’est rien les gars,
Nous le rattraperons
Trois seules voix pour l’Amiral,
Ce n’est rien les gars,
Nous le terrasserons
Quatre seules voix pour l’Amiral».
Et ainsi de suite. L’Amiral fit cette nuit-là 90% des votes. Ce n’est rien les gars. Ce n’est rien. Les étudiants auraient voté pour lui? Comment les partisans du Président ont-ils fait pour tricher? Comment? Nous étions pourtant là. Assistant au dépouillement. Des rafales retentirent tard dans la nuit alors que nous dansions encore sur les brasiers des bus incendiés. Bus d’Etat. Bus du dictateur.
Un ami pleura cette nuit-là devant un des militaires encerclant le collège: «j’ai vécu mon enfance sous le règne de ce type, je ne vais pas vivre encore mon adolescence et ma jeunesse sous sa dictature!» Il avait treize ans. Il faisait la queue derrière moi quand on avait attendu des heures sous le soleil l’ouverture des bureaux de vote. Il accompagnait ma main quand j’ai mis mon bulletin dans l’urne, quand j’ai déchiré devant tous le rouge, rouge couleur de la révolution. Cet ami se suicida quelques mois plus tard. Un coup de couteau dans le ventre. De la drogue dans les veines. Treize ans. On n’est pas sérieux quand on a treize ans…
A vous Monsieur le Président – si vous méritez toutefois ce titre, cette lettre:
Je me rappelle de quelques années plus tôt: j’étais en service national. Je devais participer au défilé pour la fête de l’indépendance. Ce jour-là, le 26 juin 1986, je me disais, me suggérais qu’avec le mas36 que je tenais en main – vidé auparavant de ses cartouches, vérifié, contrôlé nombre de fois par le caporal, sur la piste de Mahamasina. Juste derrière l’emplacement où les rois et les reines faisaient leur serment, le lieutenant – j’allais vous embrocher avec ma baïonnette. J’étais au premier rang. Nous étions grand Kabary. Vos gardes du corps étaient passés. Par vagues. Innombrables. Ils fixaient chacun d’entre nous d’un air sans pitié. Vous n’étiez passé que de longues minutes après. De longues minutes interminables. Infinies. Vous passiez à vingt mètres. Protégé par un rang inaccessible de gardes du corps. Je pleurais ce jour-là. Tout à l’intérieur. Sans larme à couler. J’essayais de ne pas trembler. Car un seul mouvement, un seul frémissement m’aurait propulsé dans votre direction. La baïonnette tendue. La rage au cœur. Mais je savais que je n’aurais aucune chance. Jamais, je n’ai été aussi proche de la mort. Jamais.

Place du 13 mai, 1991
La foule, exténuée par des mois de grève générale, se dirige vers le Palais présidentiel – encore un délire de pouvoir, Palais réplique de celui de la Reine, mais en marbre cette fois-ci, pas de ce tas de bois qui finalement a flambé au sommet d’Iarivo; celui de l’Amiral trône toujours sur les collines d’Iavoloha – ou traduction «qui a la tête haute, orgueilleuse». Iavoloha camouflé grossièrement en Mavoloha, «la tête jaune»! Un hélicoptère attend la foule. Tire. Lâche des grenades. Une équipe de journalistes capte l’image, capture le son. Ordre fut donné de tirer sur la foule, sur «cette voiture noire» où devait se trouver l’homme providentiel qui sauverait Madagascar. L’image, le son passèrent un moment sur les antennes françaises. L’Amiral tomba, céda le pouvoir. Est-ce la détermination de la foule qui provoqua cette déchéance de l’homme fort du pays ou la force des images transmises dans nombre de pays qui le priva de ses appuis habituels? Oppression trop flagrante. Dictature insoutenable. Au sens premier du terme.
L’Amiral à l’eau, l’homme au chapeau de paille accéda à la présidence. Image toujours. Image. Chapeau de paille ou authenticité? Chapeau de paille ou fidélité à la terre rouge? Sympathique personnage mais piètre homme d’Etat. Deux ans de désastre pour l’île. Chute vertigineuse vers plus de misère encore. Un ami me disait voici quelques jours: «Dans nos pays, lorsqu’on tombe dans le gouffre et que l’on touche le fond, on oublie de remonter, on creuse encore, on creuse…».
L’homme au chapeau de paille fut «empêché». Autres élections. Démocratiques, disait-on. Démocratiques. L’Amiral, avec l’aide de son grand ami Chirac, sortit de l’eau et reconquit le pouvoir. Il se dit maintenant humaniste écologique francophone. D’ex-révolutionnaire. D’ex-communiste. D’ex-socialiste. D’ex-non aligné. D’ex-libéraliste. D’ex-fédéraliste. Discours simpliste et génial qui prend en compte les clichés construits autour de l’île. Madagascar sanctuaire de la nature. Madagascar paradis des naturalistes. Un peu d’écologie et le tour est joué. Comment ne pas soutenir un tel personnage qui défend l’intégrité écologique de cette île extraordinaire? Ouverture apparente: Cousteau passe à Madagascar. Nicolas Hulot. Des articles dans nombre de revues: Géo, Grand Reporter. Des films animaliers sur l’île mystérieuse. Des reportages photographiques. Les éditeurs se régalent…
Mais sait-on que Madagascar n’a pas un seul Canadair? Qu’il n’existe de caserne de pompiers que dans les grandes villes? Et encore… Le feu dans les savanes, il faut attendre la pluie pour l’éteindre. Ou la fatigue des flammes. Ou l’efficacité des amulettes. Mieux encore, l’hélicoptère du fils au chômage du président. Il passe au-dessus des nuages et les asperge de sel! La pluie tombe! Le feu se recroqueville devant la puissance de l’héritier!
Mais sait-on que les sauterelles sont revenues? Car l’on a décrété que la lutte entre les acridiens et l’homme a été remportée haut la main par le dernier nommé. La maintenance des pompiers s’y référant n’a donc plus de raison d’être! Sait-on qu’en tout et pour tout, Madagascar – devrais-je le dire encore, sanctuaire de la nature – n’a qu’une vingtaine de gardes-forestiers? Alors, parlons de sites protégés. Pancarte de la WWB et basta, que vivent les maki-kata et les aye-ayes. Mais le discours passe, passe si bien que l’Amiral se voit attribuer le «Grand Prix Européen Umberto Biancamano», assorti de la Haute Distinction honorifique «Pour la Paix Universelle». Le professeur Alberto Pocchini, Président de la Fondation: «le Président Ratsiraka, Amiral, brillant homme politique, chantre de la Francophonie, mais également grand humaniste, son programme de créer une République démocratique, humaniste et écologique en réconciliant l’Homme avec l’Etat, et l’Homme avec la Nature a orienté notre choix» (…) Fantastique! Ses devanciers dans ce prix: Leopold Sedar Senghor, Mikhail Gorbatchev, Carlos Menem…
L’Amiral a simplement mis en parole la projection de l’Occident sur Madagascar. Terre d’humanité et d’écologie. Sept ans de règne encore. Il brigue maintenant un quatrième mandat. Que dis-je, un cinquième!.
(…) Peut-on dire que la France fut dupe? Je ne ferai pas l’injure d’y croire. La France fut aussi cynique que le Galonné sans flotte. Toutes les banques malgaches sont des filiales des banques françaises: Crédit Lyonnais, BNP-PARIBAS ou Société Générale. Zones franches en masse et délocalisations de nombreuses entreprises françaises.
La France peut-être, mais les Français dans tout cela? «Les poissons dans le fleuve» dit le proverbe «doivent se méfier quand le crocodile sort de l’eau et prétend les représenter sur la terre ferme!».
Jean-Luc Raharimanana