MIGRATIONS: Un exemple de solidarité avec les sans-papiers

von Caroline Meijers FCE-Suisse, 31.12.2016, Veröffentlicht in Archipel 254

Le Mouvement Jurassien de Soutien aux Sans-Papiers et Migrants (MJSSP) vient au secours d’une famille syrienne expulsée de la Suisse. Caroline Meijers revient sur l’histoire de ce comité jurassien.

Autour des années 2000, plusieurs églises étaient occupées par les sans-papiers et leurs mouvements de soutien en Suisse: Fribourg, Berne et Bâle. Cornélius Koch, Hannes Reiser et Claude Braun du FCE Suisse étaient très actifs pour épauler et conseiller les sans-papiers et leurs comités de soutien, notamment à Fribourg et Bâle. Pour ma part, je travaillais depuis une année comme bénévole à la permanence juridique pour requérants d’asile de Caritas-Jura, avec Margrit Salzmann, ancienne militante d’Amnesty et responsable de la permanence. J’avais rencontré Margrit au Jura en 1998 pendant une campagne référendaire contre un énième durcissement des lois sur l’asile en Suisse. Les membres de ce comité référendaire, dont plusieurs issus des partis politiques, tels que les Verts, le POP (Parti Ouvrier Populaire) ou la Jeunesse Socialiste Jurassienne, pensaient qu’«il ne suffisait pas de faire des campagnes référendaires», mais qu’il fallait aussi travailler pour contrer la désinformation ambiante sur la question de l’asile et de l’immigration en général. Et pour ce faire, il fallait aussi connaître la réalité sur le «terrain» pour bien connaître la pratique dans le domaine de l’immigration et de l’asile.
En 1998, la guerre en Bosnie (1992-1995) continuait à produire de nouveaux réfugiés et la permanence juridique était débordée par des réfugiés bosniaques. A la fin de la campagne référendaire, quand nous avions évoqué la question d’une suite à nos actions, Margrit nous a proposé de venir la soutenir à la permanence juridique pour «être sur le terrain» et continuer nos actions en connaissance de cause. Nous étions une dizaine pour faire ce travail.
Après avoir évité l’expulsion d’une personne kosovare, victime d’un accident du travail, depuis l’hôpital suite à l’alerte d’un syndicaliste de son service de soin, Margrit proposait: «Il nous faut lancer un comité pour le soutien des sans-papiers, nous devons soutenir des gens comme lui.»
Fêtes de soutien et régularisations
En décembre 2001, nous avons créé le Mouvement Jurassien de Soutien aux Sans-papiers. Nous participions à la coordination nationale de nombreux collectifs de sans-papiers et leurs soutiens, qui se réunissaient plusieurs fois par an. Nous avons organisé plusieurs fêtes de Noël à Delémont, en plein centre-ville, pour nous faire connaître, lancer des débats, occuper le terrain face aux populistes et autres xénophobes qui tentaient (et tentent encore) de prendre pied au Jura (le parti d’extrême droite UDC). Ces fêtes ont été de grands succès: des sans-papiers y ont pris la parole, des politiciens étaient là pour les écouter et donner leurs points de vue, des paysans du Jura ont rencontré des délégués du SOC, des comités de soutien à des requérants ou sans-papiers menacés d’expulsion y ont trouvé écoute et aide. Les soirées ont été très festives et la jeunesse jurassienne y a participé en nombre. Les médias locaux ont joué le jeu: Tais-toi et travaille! était à la Une du Quotidien Jurassien début janvier 2004 à la suite de l’une de ces fêtes. Le même journaliste du QJ a titré, lors d’un débat en janvier 2006 organisé pour le lancement des deux référendums contre un énième durcissement des lois d’asile et des étrangers: La «désobéissance civile» pour soutenir les sans-papiers. La radio régionale nous a régulièrement accueillis, ainsi que nos amis sans-papiers, pour des témoignages en direct.
Nous nous sommes fait beaucoup d’amis et de sympathisants en défendant dès 2002 une jeune requérante d’asile népalaise déboutée avec son nouveau-né. Des chauffeurs de bus, des voisins, des militants de longue date, la Conservatrice du Musée jurassien d’art et d’histoire (devenue la marraine du bébé) ont été touchés par leur sort et ont voulu les aider. Nous avons trouvé différentes familles qui ont accepté de les cacher pendant des mois, car ils étaient menacés d’expulsion. Le 9 octobre 2016, elle et ses deux enfants ont fêté l’obtention du passeport suisse. Le soutien de la population jurassienne à la mère népalaise a inspiré d’autres collectifs dans leurs actions. Plusieurs comités de soutien à des requérants ou sans-papiers menacés d’expulsion ont vu le jour. Le Mouvement jurassien de soutien aux sans-papiers les a conseillés et soutenus dans le Jura. Dans les Franches-Montagnes, tout un village (Les Breuleux) s’est mobilisé dès novembre 2002 pour empêcher une famille algérienne d’être expulsée, à l’initiative des camarades d’école de la fille aînée. Nous étions présents pour les conseiller et avons organisé en janvier 2003 une soirée, très fréquentée, à Saignelégier sur la situation politique en Algérie. La famille algérienne a pu rester en Suisse, et la mère et ses enfants ont reçu des permis depuis. De 2005 à 2011, lors de la fermeture de la permanence juridique pour requérants d’asile de Caritas-Jura, nous avons ouvert une permanence pour sans-papiers et requérants d’asile à Delémont, que nous gérions avec nos membres de manière bénévole. Depuis 2012, Caritas-Jura a rouvert une permanence gratuite, mais uniquement pour des requérants d’asile. Nous restons à disposition des sans-papiers et autres migrants avec une permanence téléphonique quotidienne et notre site Internet1.
Un travail de fond d’information et de soutien
Nous organisons également régulièrement des conférences pour débattre avec la population jurassienne sur les causes et enjeux de l’immigration, pour contrer la désinformation ambiante, mais aussi pour démontrer la responsabilité de la Suisse (et du système économique qu’elle prône) dans cette migration. En septembre 2010, Augusta Conchiglia du Monde Diplomatique est venue à Delémont pour nous parler du pillage économique de l’Afrique. De très nombreux Africains étaient là, avec et sans papiers ou en procédure d’asile. Le débat était un véritable échange entre Africains et Jurassiens sur les problèmes de l’Afrique et les raisons qui poussent les Africains à venir en Europe. Lors de nos conférences, nous veillons toujours à avoir les témoignages des personnes concernées; cela touche davantage les gens et donne lieu à des discussions très vivantes. Les migrants me semblent les meilleurs ambassadeurs du désastre que le système économique et politique capitaliste des pays du Nord veut imposer à toute la planète et leur témoignage personnel peut faire réfléchir les Européens sur notre système. Nous collaborons avec l’association kurde de Delémont et parfois avec des Kosovars, ainsi qu’avec notre ami Jean-Patrick, ancien sans-papiers d’origine congolaise.
Pendant plusieurs années nous avons trouvé des logements chez des privés pour des sans-papiers et, au besoin, nous contactons encore aujourd’hui ce réseau quand nous recevons des demandes. Ni notre mouvement, ni les personnes cachant des sans-papiers suite à nos demandes, n’ont été inquiétés par la police.
Depuis juin de cette année, nous avons créé un comité de soutien pour une veuve syrienne (son mari, opposant politique, a été abattu par des policiers lors d’une manifestation en Syrie) et sa fille de 13 ans. Les deux ont reçu une décision négative en Suisse suite à leur demande d’asile, en invoquant les Accords de Dublin2. Elles ont été renvoyées de force en Italie, menottées et entourées de policiers. Elles sont revenues car toute leur famille vit en Suisse. Elles vivent désormais très mal leur situation de clandestinité et songent parfois à retourner en Syrie malgré le risque qu’elles peuvent encourir. «Plutôt mourir là-bas entourée des miens qu’être seule en Italie où clandestine en Suisse», dit la mère. Le MJSSP a toujours essayé de faire participer les personnes concernées à nos réunions et actions.
Caroline Meijers
FCE-Suisse

  1. http://www.sanspapiers-jura.ch
  2. Bien que la Suisse ne figure pas parmi les principales destinations européennes des demandeurs d’asile, elle se retrouve, entre 2009 et 2014, en tête d’un autre classement: celui des transferts de migrant-e-s vers un autre Etat de l’Union européenne. Le mouvement d’asile en Suisse
    Le mouvement d’asile en Suisse perdure grâce à la coexistence entre la défense des droits des migrants dans des comités locaux et les mobilisations communes au niveau national. Ainsi, des événements nationaux ont régulièrement lieu, redonnant un sentiment de solidarité commun à ceux et celles qui s’engagent au niveau local, se retrouvant bien souvent dans des rapports de forces déséquilibrés.
    C’est à Lausanne qu’un des derniers événements important s’est déroulé avec la manifestation nationale du 1er octobre contre les renvois Dublin. Venues de tout le pays, 3000 personnes ont participé à cet événement, malgré une météo défavorable et la faible présence des grandes organisations et des partis politiques. Il est réjouissant de voir lors de tels événements une présence toujours plus grande de jeunes dans le mouvement d’asile, amenant un renouvellement permanent et nécessaire. D’autres campagnes communes sont souvent les référendums contre des durcissements du droit d’asile ou actuellement celle pour l’asile ecclésiastique (voir Archipel No250).
    Les campagnes nationales ne peuvent avoir un certain succès et une visibilité publique que si elles sont relayées par des groupes locaux. C’est aussi ces groupes qui s’engagent concrètement pour la défense et le soutien des migrants en leur donnant des conseils juridiques, une aide lors de la recherche d’emploi et de logement, un apprentissage du français et de l’allemand, etc. La multitude de ces activités assure un contact et un échange avec les migrants eux-mêmes dont l’implication concrète donne la légitimité politique pour intervenir publiquement.
    L’article sur le mouvement jurassien est un exemple concret de la diversité d’activités et de revendications.
    Claude Braun
    FCE, Suisse