QUESTIONS D'HIER ET DE DEMAIN: De Bischofferode à Athènes.

von Herma Ebinger, 24.01.2017, Veröffentlicht in Archipel 255

La réunification allemande et l’avenir de l’Union européenne
«Bischofferode est partout», tel était, au début des années quatre-vingt dix, le slogan des mineurs luttant pour le maintien de la mine de sel en Thuringe. En effet, selon la Treuhand1, malgré une production de sel de très bonne qualité, la mine devait fermer. Les mineurs avaient réussi à attirer l’attention en Allemagne avec des actions, une grève de la faim et une marche vers Berlin. Le 7 avril 1993, 500 mineurs occupaient la mine de sel à Bischofferode encore en activité. Le 31 décembre 1993, la mine Thomas Müntz était définitivement fermée.

Pour aller de Bischofferode à Athènes, il nous faut faire un détour par Londres. Là s’était tenue, en 1953, une conférence sur l’Accord envers les dettes extérieures allemandes: le sujet en était les milliards de dettes extérieures de la République Fédérale d’Allemagne qui s’était déclarée successeuse du Troisième Reich. Les dettes allemandes avaient été contractées après la Première et la Seconde Guerre mondiale. A Londres, les dettes ont été réduites de moitié. Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France et 18 autres pays, dont la Grèce, ont signé cet accord. Les indemnités, ou réparations, de guerre et de génocide que l’Allemagne devait encore payer n’étaient pas au programme.
Denazification?
Le chef de la délégation allemande à Londres était Hermann Josef Abs. Ce dernier était dans le comité directeur de la Deutsche Bank de 1938 à 1945. Il était responsable du commerce extérieur, du financement de l’industrie, de la recherche de crédits de guerre et de l’»aryanisation»2 des entreprises et des banques juives. Depuis 1937, entre autres responsabilités, il était membre du conseil d’administration de l’entreprise IG Farben, qui avait fourni le gaz aux camps de concentration. En 1945 Hermann Josef Abs a été incarcéré pendant trois mois. Il a ensuite été «dénazifié»3 et promu conseiller financier pour la zone d’occupation britannique. De 1948 à 1952, il a été directeur du conseil d’administration de l’établissement de crédit pour la reconstruction (KfW) qui gérait l’argent du Plan Marshall. A partir de 1952, il réintègre le conseil d’administration de la Deutsche Bank et fait partie d’une trentaine de comités directeurs. Il meurt, décoré de nombreux ordres, en 1994.
La Troïka (composée de la Commission européenne, du Fonds monétaire international et de la Banque Centrale européenne) aurait du, avant les négociations avec les Grecs, étudier de près les discours tenus par ces imposants banquiers entre le 11 septembre et le 26 novembre 1952. En effet, l’histoire de l’Accord sur les dettes extérieures allemandes nous apprend qu’il n’est pas possible, pour un pays, de les rembourser si sa balance des paiements n’est pas positive. Mais bien entendu, pour rembourser ses dettes, il faut du temps pour développer l’économie. On n’a pas donné ce temps à la Grèce parce qu’il y a trop de convoitises en jeu. La Grèce du 21ème siècle n’est pas l’Allemagne d’après-guerre. A cause de la guerre froide, l’Occident avait besoin, à l’époque, d’un bastion fort, prospère et anti-communiste.
De Bischofferode à Athènes
Les organisateurs de la rencontre De Bischofferode à Athènes, qui s’est tenue en octobre 2016 à Berlin, ne sont pas remontés aussi loin dans le passé. Le séminaire de la Coordiantion fédérale internationaliste (BUKO) et du groupe de solidarité pour la Grèce organisé par les syndicats, a évoqué la vente des biens étatiques de la RDA par la Treuhand et des biens étatiques grecs par l’agence de privatisation HRADF. Même si l’information réciproque constituait l’axe principal des rencontres, nous avons aussi discuté des possibilités de solidarité transnationale.
Il y avait des activistes des luttes contre la politique de la Treuhand du début des années 1990, l’auteur italien Vladimiro Giacché, des activistes de Grèce et de la République Fédérale d’Allemagne qui combattent, aujourd’hui, la politique de privatisation de la Troïka.
Le vendredi soir a été consacré aux luttes oubliées menées en RDA entre novembre 1989 et le 3 octobre 1990, date officielle de la «réunification».
L’historien Bernd Gehrke, autrefois membre du parti Vereinigte Linke5, a traité des nombreuses luttes menées par les travailleurs des entreprises entre 1990 et 1995. Elles sont quasi inconnues, même des gens de gauche, et aujourd’hui personne n’en parle publiquement. L’ancien ouvrier métallurgique et président du comité d’entreprise à Henningsdorf, Gerhard Horn, a raconté avec beaucoup d’émotion sa lutte et la trahison des syndicats. Herma Ebinger a parlé de la suppression des places de travail pour les femmes dans cette même période ainsi que de la tentative d’une commune de communaliser la terre d’une coopérative d’Etat.
Pour Bernd Gehrke, le succès de l’AfD (Alternative für Deutschand) et des mouvements Pegida, est la conséquence de deux échecs des gauches émancipatrices: le premier, en automne 1989 lors de la révolte des mouvements citoyens pour une démocratie radicale et le second, lors des luttes sociales des travailleurs dans les entreprises de l’Allemagne de l’Est au début des années 1990.
Nouvel Anschluss
Le lendemain, Vladimiro Giacché exposait le contenu de son livre Anschluss. Die deutsche Vereinigung und die Zukunft Europas6. Il y décrit la restructuration néolibérale de la société (privatisation et dérégulation) ainsi que les conséquences d’une union monétaire entre partenaires inégaux (désindustrialisation, migration des travailleurs, dépendance vis-à-vis des services de transfert). Dans son discours, il a incorporé les développements en France et en Italie depuis leur entrée dans l’Euro.
Le 1er mars 1990, sous le gouvernement Modrow, le parlement de la RDA créait un «établissement pour l’administration fiduciaire des biens du peuple» (Treuhand). Le 17 juin 1990, le gouvernement du parti Allianz für Deutschland, transformait cette administration fiduciaire en une «loi pour la privatisation et la réorganisation des biens du peuple». Ainsi, la plus grande holding du monde, la Treuhand, a pu passer à l’action. Sur la base de critères sujets à caution, elle a privatisé à tour de bras: il n’y a pas eu d’enchères publiques mais des tractations secrètes entre investisseurs intéressés; les investisseurs n’ont été assujettis à aucune obligation; les escrocs n’étaient pas inquiétés. Le 26 octobre 1990, le ministre des Finances de l’époque, Theo Waigel, accordait l’immunité judiciaire à tous les collaborateurs de la Treuhand pour les actes passés et à venir. 87% des entreprises privatisées se sont retrouvées dans les mains d’entrepreneurs ouest-allemands. Beaucoup de ces entreprises ont été fermées, rasées et le terrain utilisé à d’autres fins. 7% des entreprises privatisées ont été achetées par des étrangers et 6% seulement sont restées aux mains de citoyens est-allemands.
La Treuhand comme modèle
Giacché a démenti le conte de fée de la RDA surendettée et a qualifié l’union monétaire allemande de point de non-retour. Selon lui, «l’action gagnante de la Treuhand» est devenue un modèle pour les pays en crise, surtout pour la Grèce. En 2011, le président de l’euro-groupe, Jean-Claude Juncker prononce ces mots: «je me réjouirais si nos amis grecs, à l’exemple de la Treuhand allemande, fondaient une agence de privatisation, indépendante du gouvernement, dans laquelle il y aurait des experts étrangers».
Toujours en 2011, le président de la fraction parlementaire du SPD (social-démocrate) de l’époque et actuel ministre des Affaires extérieures, Frank-Walter Steinmeier, a, lors d’un interview au Rheinische Post, été encore plus clair: «Je trouve que la proposition d’un modèle de Treuhand européenne dans laquelle les biens publics grecs pourraient être intégrés mérite réflexion. Cette Treuhand européenne pourrait alors, en l’espace de 10 ou 15 ans, privatiser ces biens».
Le discours et le livre de Giacché tiennent en haleine comme le meilleur des polars. A la question de savoir s’il existe une possible sortie à la situation actuelle, il répond: «ou bien un changement rapide et radical des accords de l’Union européenne, ou bien la dissolution de l’union monétaire. L’euro n’est ni une religion ni un destin, et il n’a rien d’irréversible en soi».
Luttes en Grèce
Le samedi soir, le séminaire était ouvert au public. La salle était pleine à craquer, alors que les hôtes grecs ont décrit la situation dans leur pays.
Eleni Potaliou, professeure d’architecture de l’Université Technique d’Athènes, est membre de l’initiative citoyenne Comité de lutte pour le parc d’Ellenikon. Jusqu’au mémorandum, elle faisait partie du bureau de Syriza, puis elle l’a quitté. Dès le début, elle a clairement pris position: «Ces dettes ne sont pas des dettes publiques mais les dettes des banques du monde entier». L’aéroport et la plage d’Ellikon devraient être privatisés et transformés en une ville privée avec des logements de haut standing, des bureaux, des hôtels, des casinos, des centres commerciaux, des écoles et une université. L’initiative veut, elle, un lieu de culture et de sport pour tous. Le prix demandé aux investisseurs est quatre fois moins élevé que la valeur réelle du terrain.
Dans les différents fonds destinés à être privatisés, il y a 35 ports, 3000 biens publics immobiliers, des bâtiments classés monuments historiques, la poste, les chemins de fer, l’industrie militaire, 37 aéroports (dont 14 sont déjà aux mains de Fraport, Francfort), et la distribution de l’eau et du gaz. Les fonds sont administrés par un conseil à cinq têtes: deux fonctionnaires de l’UE et trois Grecs qui n’ont pas de droit de recours. Eleni explique: «La démocratie, déjà limitée des dernières années, est maintenant totalement supprimée». Depuis, 33 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, le taux de suicides augmente et nombreux sont ceux et celles qui quittent le pays. Après les échecs, beaucoup d’activistes sont tombsé malades, ou se sont résignés. Et pourtant, ils sont aussi nombreux à rester actifs au sein des collectifs, dans tous les domaines, contre la privatisation. Et ils s’organisent entre eux grâce à un comité regroupant tous ces collectifs. «Nous devons inventer une nouvelle gauche dit Eleni, et renforcer les mouvements sociaux. Les problèmes entre l’internationalisme et le nationalisme doivent être reformulés».
Marianna Grigoraskou fait partie du collectif contre la privatisation du centre de distribution des eaux, Eyath, de Thessalonique. Elle y travaille, et elle est également la directrice des relations publiques du syndicat de l’entreprise. La lutte pour le centre de distribution des eaux avait déjà commencé sous le gouvernement de Papandreou. Avant les élections, il avait promis de ne pas le vendre, promesse qu’il a oubliée après les élections.
En 2009, les syndicalistes ont occupé les bureaux du centre et interrompu la séance du conseil d’administration. Il y a eu 180 plaintes déposées contre les occupants. Néanmoins, le syndicat d’entreprise a réussi à obliger l’entreprise à échelonner les prix selon les revenus des consommateurs. Mais cela sera supprimé avec la privatisation. Plusieurs investisseurs sont intéressés par les centres grecs de distribution de l’eau, dont le plus «prometteur» est la multinationale SUEZ.
Les activistes et de nombreux habitants ont mené de nombreuses actions. Ils ont, par exemple, invité la maire-adjointe de Paris, où les centres de distribution de l’eau viennent d’être recommunalisés. De même, ils ont invité les activistes berlinois du Wassertisch. Enfin, ils ont fait aboutir la mise en place d’un référendum, où 98 % de la population s’est déclarée contre la privatisation. Lorsque, en juillet 2015, Syriza a voulu intégrer les centres de distribution de l’eau dans les fonds de privatisation, les travailleurs ont tout simplement coupé l’eau des bureaux du parti. Cependant, de nombreux combattants sont résignés, pense Marianna.
Le séminaire s’est déroulé dans l’ancien Aquarium Meyer, un énorme terrain se trouvant directement à Kotti (Kottbuser Tor, Berlin) et qui, justement, vient d’être transformé en lieu de rencontres et de concerts. Il se situe juste derrière la maison commune du collectif de locataires Kotti & Co qui lutte contre les expulsions abusives et la gentrification. Quelques habitants du quartier, combattants de la première heure, sont venus au séminaire pour informer les participants qu’ils pouvaient venir voir l’exposition sur les luttes contre les expulsions abusives à Berlin depuis 1872.

  1. Organisme chargé de privatiser les entreprises de l’ancienne RDA
  2. C’est à dire les ventes forcées
  3. La dénazification désigne une «épuration» de la société, de la culture, de la presse, de l’économie, du pouvoir judiciaire et de la politique allemandes et autrichiennes de toute influence nazie.
  4. Regroupement de nombreuses associations de gauche.
  5. La Gauche Unie.
  6. Annexion - L’unification allemande et l’avenir de l’Europe, l’Anschluss étant le terme utilisé lors de l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie.