QUESTIONS D'HIER ET DE DEMAIN: Squats, mode d’emploi

von Azozomox, 30.03.2015, Veröffentlicht in Archipel 235

Nous continuons notre série d’articles sur les squats, cette fois-ci avec un historique des squats en Allemagne: les occupations à partir de 1968 à Berlin-Ouest, Berlin-Est et dans le Berlin unifié. Cette partie est consacrée à Berlin-Ouest.

Les mobiles, les motivations et les objectifs pour occuper des maisons, des bâtiments et des «Wagenplätze» (aires de regroupement d’habitats mobiles) sont très différents. A la base, l’idée d’occupation vient du souhait de créer ses propres espaces, des espaces dits «de liberté», et à en disposer de manière autonome, hors de tout contrôle étatique. De là surgissent ensuite des lieux de vie, des centres culturels et de communication, des maisons de quartier, de jeunes ou autres. On peut aussi expliquer ce choix par le désir de vivre autrement, de rompre avec la tristesse du quotidien (des parents), pour expérimenter ensemble, avec d’autres qui pensent pareillement, un mode de vie alternatif et de nouvelles idées. Par exemple dans une communauté d’habitat à la campagne ou en ville, avec ou sans pièces fonctionnelles et des dortoirs collectifs, dans d’énormes bâtiments en colocation ou des projets de maisons. Il n’est pas rare que surgisse une critique fondamentale des structures patriarcales de couple et de petite famille. Une partie de l’utopie imaginable d’une vie «meilleure», sans hiérarchie ni pouvoir, peut être ici mise en pratique et essayée «en petit». Ici, l’habitat collectif est vécu concrètement, comme une expérience dans un grand laboratoire des concepts et des idées «révolutionnaires». Le principe du consensus s’est développé comme une caractéristique importante de cette vie collective non-hiérarchique, puisque l’ensemble des décisions ne sont prises qu’avec l’approbation de tous les participants.
Une motivation politique La plupart du temps, l’occupation exprime aussi une protestation contre la politique capitaliste et étatique des logements et met en question les rapports à la propriété capitaliste. Le slogan souvent utilisé par les occupant-e-s, «les maisons à ceux qui les habitent», explicite cette position politique. Une occupation peut aussi s’opposer aux mesures de restructuration et de gentrification dans une ville ou dans un quartier, concrètement contre la spéculation immobilière et sur les logements vides, les détournements de fonction de logements, les rénovations luxueuses, la modernisation et la transformation en magasins ou bureaux, la destruction d’appartements bon marché ou la démolition de vieux immeubles avec assainissement de la parcelle.
La population des squats des derniers 45 ans est majoritairement de couleur blanche et munie d’un passeport allemand. Elle se compose d’étudiants, de jeunes (prolétaires), d’apprentis, d’étudiants, de drop-out, de hippies, de spontanéistes, d’autonomes, d’anti-impérialistes, de punks, d’anarchistes, de lesbiennes autonomes, de queers et de transgenres radicaux, de gays et d’écologistes, d’antifascistes, de gens de couleur, de migrants, d’inter-et-transnationalistes, de réfugiés, de sympathisants de partis de gauche, de communards, jusqu’aux rockers, artistes et créateurs culturels.
Il faut ajouter à cela que Berlin possédait un statut spécial – une île occidentale au cœur de la RDA. Comme il n’y avait pas d’armée, de nombreux objecteurs vinrent s’installer dans la ville, qui était déjà un foyer d’activités politiques du mouvement de 1968.
Le début des occupations C’est le 1er mai 1970 que se déroule la toute première occupation (dont l’expulsion par la police aura lieu le même jour) dans le quartier de Reinickendorf à Berlin-Ouest, dans la Königshorster Straße, où une centaine de personnes issues de la jeunesse ouvrière et du milieu étudiant décident d’ouvrir un centre pour les jeunes du quartier. De manière générale, celles et ceux qui occupent des locaux inhabités au début des années 1970 sont essentiellement des jeunes ouvrier-ère-s, des chômeur-euse-s, des ancien-ne-s résident-e-s de foyers, des mineur-e-s isolé-e-s et des étudiant-e-s.
C’est ainsi qu’au N°13 de la Mariannenstraße, l’occupation de deux étages d’une usine pour un centre destiné à la jeunesse est stoppée par la police le 3 juillet 1971 et que 76 personnes sont arrêtées. Le 8 décembre de la même année, l’occupation de la Maison Georg-Von-Rauch1 débute sur la Mariannenplatz (Kreuzberg), qui reste aujourd’hui encore le plus ancien squat existant, désormais légalisé. Par la suite, en 1973, c’est la Maison Thomas Weissbecker2 située au n° 8 de Wilhelmstraße qui est occupée. A partir de 1972, dans le quartier de Berlin-Schöneberg, c’est l’ancien centre municipal des jeunes qui est occupé et qui s’appelle dorénavant le SJSZ (Centre des Jeunes Travailleurs et des Ecoliers Socialistes). En 1973, dans le quartier de Berlin-Wedding, le centre culturel Putte qui est situé dans la Rügenerstraße est occupé durant deux journées entières. Après l’expulsion et la démolition du Putte (dans lequel se trouvait encore un centre pour enfants), les Cellules Révolutionnaires commettent un attentat le 1er mai 1974 visant la voiture du conseiller municipal pour la Jeunesse et les Sports, Peter Sötje, ce dernier étant «tenu responsable de la démolition».
Leur déclaration sur cet attentat se termine par un «appel à des centres autogérés pour la jeunesse et une défense collective et militante de nos intérêts.»
L’urbanisme à Berlin Ouest A la fin des années 1970 et au début des années 1980, un double phénomène va conditionner l’urbanisme ouest-berlinois. D’un côté, de nombreuses surfaces sont laissées vacantes, entraînant la dégradation du bâti et la démolition de maisons, mais aussi la spéculation immobilière. De l’autre, on assiste à l’émergence et à l’interaction de différents mouvements contre-culturels, politiques et sociaux (mouvances punks, autonomes, femmes et lesbiennes, écologistes, anti-nucléaires, le mouvement contre l’extension de l’aéroport à Francfort-sur-le-Main ou celui de soutien à la Révolution au Nicaragua en 1979, etc.) – en bref, «la soif de mener une autre vie». C’est dans ce contexte singulier que va se développer de manière explosive un grand mouvement de squats, mais également d’occupation-rénovation («Instandbesetzung»), par le biais d’économies alternatives, de cogestions et de nouvelles formes de résistances urbaines. Plus de 220 maisons seront occupées à Berlin-Ouest, dont près de 170 de manière simultanée, dans lesquelles vivront pour un temps près de 5.000 personnes (invités compris). En réaction à une politique répressive, à des opérations policières brutales et de lourdes peines de prison pour celles et ceux qui sont impliqués dans ces combats, et à la criminalisation du Conseil des squatteur-euse-s selon le «paragraphe 129» du Code pénal (menant à 165 arrestations), une grande solidarité et un large soutien se développent également à cette époque. De 15.000 à 30.000 personnes manifestent en l’espace de quelques mois (…); 8.000 personnes soutiennent les revendications des squatteur-euse-s visant à mettre un terme à la criminalisation, aux expulsions et à trouver une solution pour toutes les maisons (…).
Dans une lettre ouverte, 62 enseignant-e-s du secondaire demandent «la légalisation des occupations et l’amnistie», ils organisent ensuite des conférences dans les squats sur le thème de «l’occupation estivale des têtes». Un parrainage des squats est pris en charge par des universitaires, des groupes syndicaux (comme le syndicat des transports publics ÖTV ou encore le groupe hospitalier Westend), des paroisses, mais également des artistes, des auteur-e-s et des personnalités publiques. Le journal TAZ, dont une partie de la rédaction vit elle-même dans des immeubles occupés, fait office de porte-parole du mouvement, tout comme le magazine Radikal qui représente la fraction de celles et ceux qui ne veulent pas négocier.
A la suite des expulsions de huit maisons à Berlin-Schöneberg le 22 septembre 1981, et après que l’ancien ministre de l’Intérieur Heinrich Lummer (CDU) se soit présenté, tel Napoléon à la tête d’une armée victorieuse, lors de sa conférence de presse, de violentes manifestations éclatent au cours desquelles Klaus Jürgen Rattey est poussé par des unités de police devant un bus berlinois qui le renverse et le traîne sur 40 mètres. Rattey décède sur les lieux mêmes de l’accident, à l’angle de Bülowstraße et Potsdamer Straße. Les représailles ont lieu dans la nuit même, avec une manifestation virulente, rassemblant près de 10.000 personnes et causant jusqu’à 50 attaques contre des banques, des postes de police et des promoteurs immobiliers.
Tandis que les squatteur-euse-s sont divisés en plusieurs groupes, avec d’un côté celles et ceux qui veulent négocier et, de l’autre, celles et ceux qui ne veulent pas (et quelques un-e-s qui sont entre les deux camps), le Sénat tente, avec le soutien des sociétés immobilières, de «diviser pour mieux régner» en montant un groupe contre l’autre. Malgré plusieurs tentatives pour trouver une solution globale, certains squats doivent finalement être évacués, tandis que d’autres trouvent des accords de location. Au bout du compte, près d’une centaine de squats seront légalisés.
Depuis 1981, les occupations de terrains destinés à l’habitat mobile (Wagenplätze) se sont également multipliées, dont aujourd’hui encore (en 2015) près d’une vingtaine ont réussi à perdurer.

  1. Georg von Rauch, militant anarchiste, abattu par la police le 4 décembre 1971.
  2. Thomas Weissbecker, membre de la RAF, abattu par la police le 2 mars 1972.