REPUBLIQUE TCHEQUE :Le mouvement contre la mondialisation

von Alice Dvorska,Martin Bastl*(Université Masaryk, Brno), 08.06.2004, Veröffentlicht in Archipel 115

Au début du XXIème siècle, le mouvement anti-mondialisation en République tchèque est très dispersé et manque d’assurance. Il fait penser à ces coureurs de fond qui, traversant une forêt dense, passent le temps en s’administrant mutuellement des claques pédagogiques.

Le mouvement débute au milieu des années 1990 et part de trois tendances. Les premières prises de position critiques par rapport à la mondialisation viennent du mouvement radical écologique. Ensuite apparaît le mouvement anarchiste 1, suivi de très près de coureurs en maillots rouges – trotskistes et communistes radicaux. Un groupe fermé, mais de toutes les couleurs, d’intellectuels et politiciens indépendants se fait entendre dans les mois qui suivent.

Des actions contre la mondialisation sont également menées par des nationalistes radicaux ainsi que par des organisations communistes qui se réclament ouvertement de l’ancien régime. Il s’agit là d’initiatives très marginales. Les nationalistes – représentés par l’aile dure du mouvement néo-nazi – tentent de maintenir un contact avec des groupes d’extrême droite en Europe (p.ex. avec le Front National en France ou le NPD en Allemagne). En moyenne, de quelques dizaines à 200 personnes participent à leurs manifestations, leurs publications concernant la mondialisation sont insignifiantes. Ils sont isolés sur le plan politique. Le caractère des activités des groupes communistes orthodoxes mentionnés plus haut est semblable. Ils tentent de temps à autre d’utiliser le thème de la mondialisation pour faire de la propagande pour leur organisation. Nous ne reparlerons plus de ces deux tendances par la suite.

Actions policières

Ce sont les street parties qui amènent le thème de la globalisation économique sur le devant de la scène. La première Global Street Party est organisée par des anarchistes praguois et des personnes du milieu culturel le 16 mai 1998. Pendant cette fête, à laquelle participent de 2 à 3.000 personnes et qui a entre autres pour thème la mondialisation, se produisent plusieurs heurts avec la police, couronnés par une intervention massive tard la nuit, totalement injustifiée à ce moment-là. Cette intervention, les mauvais traitements infligés aux personnes arrêtées dans les commissariats provoquent un débat véhément dans les médias. Un appel signé par de nombreuses personnalités des milieux politique et scientifique contribue à faire condamner les violences policières. Le terme mondialisation entre dans le vocabulaire des citoyens tchèques.

Actions contre le sommet du FMI et de la Banque Mondiale

L’étape la plus importante dans le développement de l’activité politique contre la globalisation en République Tchèque est sans doute la réunion du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale à Prague, en septembre 2000. Etaient prévus trois types d’activités:

  • des manifestations organisées par les communistes et les trotskistes (la plate-forme Stop IWF! formée par la Jeunesse communiste, l’Organisation socialiste des ouvriers, le Parti communiste de Bohème et de Moravie, etc.);

  • des actions éducatives et des séminaires d’ONG telles que le mouvement DUHA (Arc en ciel), le CEE Bankwatch Network, le Jubilee 2000 tchèque, etc.;

  • des actions directes décentralisées et des manifestations organisées par INPEG (Initiative contre la globalisation économique).

L’activité des mouvements communistes se limite à une grande manifestation quelques jours avant les protestations de masse. Par la suite, ces activistes se joignent aux manifestations organisées par INPEG.

Les ONG mentionnées s’engagent dans le travail d’information, dans les actions éducatives et dans l’organisation d’un contre-sommet. Jubilee 2000 est la seule ONG à organiser une manifestation: une marche pour le désendettement des pays du Tiers Monde.

Des anarchistes, des écologistes radicaux – p.ex. de Earth First – membres de Solidarité Socialiste marxiste ainsi que des individus indépendants réunis dans INPEG avaient commencé à envisager une campagne contre le sommet du FMI et de la Banque Mondiale dès l’été 1999, quelques mois avant les manifestations massives contre l’OMC à Seattle. Ils avaient organisé une tournée d’information à travers les villages de Bohème et de Moravie ainsi que quelques happenings – la plupart à Prague – et collé des affiches.

Trois jours avant la réunion du FMI, ils organisent un contre-sommet de trois jours, avec des invités du monde entier. La fondation de l’Independant Media Center (IMC) de Prague joue un rôle important dans toutes les activités contre le FMI et la Banque Mondiale. L’IMC est encore actif aujourd’hui.

Dissensions internes

Puisque la plupart des groupes (post)communistes et trotskistes se voient dans l’impossibilité de participer aux activités d’INPEG – conçue comme plate-forme anti-autoritaire – l’Organisation socialiste des ouvriers (SOP, une section de la Ligue pour une Internationale révolutionnaire et communiste, aujourd’hui Ligue pour la Vème Internationale) fonde une plate-forme parallèle Stop IWF! A la fin de l’été 1999, les initiateurs de cette campagne se réunissent – Budoucnost (avenir), Jeunesses communistes (KSM) et SOP – et commencent à travailler sur un programme de base. C’est sous ce sigle que les trotskistes et les communistes participent aux manifestations pendant le sommet FMI/BM. De temps à autres, l’aile radicale du Parti communiste de Bohème et de Moravie travaille avec les groupes trotskistes. Il faut tout de même dire que dans le contexte tchèque, le Parti communiste de Bohème et de Moravie ne peut être qualifié de parti de gauche radical typique et que la fraction qui tente de maintenir des contacts avec des activistes anti-mondialisation est la plus faible dans le parti, en ce qui concerne et leur influence et le nombre de militants.

Les trotskistes internationalisent le mouvement

A l’origine, INPEG était une plate-forme créée spécialement pour le contre-sommet. A la fin du sommet pourtant, des voix s’élèvent pour maintenir INPEG et la transformer en une base institutionnelle du mouvement contre la mondialisation. Cette idée échoue suite aux dissensions entre anarchistes de la Fédération anarchiste tchécoslovaque et marxistes de Solidarité socialiste auxquels on reproche d’avoir voulu utiliser le S26 (26 septembre, date de la plus grosse manifestation) pour propager leur propre idéologie.

Au printemps 2001, l’idée d’élargir et d’institutionnaliser le mouvement contre la mondialisation se fait de plus en plus forte chez les trotskistes. Les efforts de tirer les leçons des expériences de l’automne 2000 et de développer les contacts mènent à la fin du printemps 2001 à la fondation de la plate-forme Globalizujme odpor! (GO! – Globaliser la résistance). A l’instar d’autres idées et activités des Trotskistes tchèques, l’idée de fonder GO! vient d’Angleterre. Dans ce cas, il s’agit du projet Globalize-Resistance!, porté essentiellement par le Socialist Worker’s Party. Cette plate-forme fait son apparition lors des manifestations contre le sommet du G8 à Gênes (du 19 au 22 juillet 2001) où des militants trotskistes tchèques se rendent en bus. Participent aux activités de GO! d’une part la SOP et l’Alternative socialiste des Femmes (SAZ, une tentative de SOP de créer une organisation de femmes), d’autre part la Solidarité Socialiste (SocSol) et le Mouvement pour une Société Juste et l’Amour du Prochain (HSSLB). Plus tard, d’autres petits groupes s’y joindront.

Le rôle des médias

En ce qui concerne les manifestations contre le sommet du FMI/BM, les médias tchèques n’ont pratiquement pas parlé du contenu des négociations entre puissances financières, donc pas non plus de ce qui motivait les confrontations. Malheureusement, et à quelques exceptions près, ils se sont contentés de publier des informations pas très objectives sur les manifestations. En gros, ils ont ignoré le contre-sommet qui avait eu lieu avant la réunion, ainsi que quelques petites actions dans le cadre de la campagne de INPEG. Dans les mois suivants, ceci a été critiqué par les organes de contrôle, p.ex. le Conseil de la télévision tchèque dont la tâche est d’avoir un oeil sur les médias publics. Les médias locaux ont relaté presque exclusivement les débordements d’une partie des manifestants pendant S26 en parlant de «combats de rues», avec des commentaires teintés de xénophobie («des étrangers venus pour détruire Prague et qui se comportent ici comme ils n’oseraient jamais chez eux»). Suite à cette campagne de presse, le soutien de la population au mouvement anti-globalisation a baissé de plus de la moitié (7 à 9 pour cent de la population), et le nombre des citoyens mettant en doute a priori la légitimité des protestations a fortement augmenté. On a accordé beaucoup d’attention aux affrontements parce que les militants tchèques agissent d’habitude pratiquement sans violence. Ce pacifisme est compréhensible car lors des manifestations locales, les policiers sont massivement présents et plus nombreux que les manifestants.

La conséquence pratique des manifestations de l’an 2000 a été une paralysie des débats sur la mondialisation, avec quelques rares exceptions. Après l’attentat contre le World Trade Center en 2001, quelques médias (p.ex. l’hebdomadaire Respekt) ont tenté à plusieurs reprises d’identifier un lien entre le mouvement anti-mondialisation et le terrorisme, quelques journalistes cherchant des liens directs avec Al Qaida.

L’armée et les services secrets contre les anti-mondialistes

Un événement auquel les médias ont accordé une attention quasi hystérique avant même qu’il ait lieu est le sommet de l’OTAN, en novembre 2002. Des activistes de l’INPEG (cette fois-ci sans la SocSol) envisageaient une campagne similaire à celle contre le sommet du FMI/BM, mais se décident finalement pour une variante moins ambitieuse et moins coûteuse. Ils optent pour des activités à caractère éducatif et soulignent qu’il est extrêmement important que des Tchèques participent aux manifestations – même si le nombre de participants doit être moindre. Ils renoncent à mobiliser à l’étranger et appellent les autres pays européens à organiser des actions de soutien. Ils redoutent une répression massive de la part de la police. Cette répression a été annoncée par le ministère de l’Intérieur et préparée depuis quelques mois par les médias et les stratèges de l’appareil répressif. Il a été prouvé qu’aux côtés de la police, le contre-espionnage tchèque et l’armée ont été associés à la surveillance du mouvement anti-globalisation. L’armée était aussi dans les rues. Des unités anti-émeutes ont été créées. Finalement et bien que seules 1.500 personnes aient participé à la manifestation principale (lors du S26 ils étaient 12.000), la plupart sont des Tchèques, un fait remarquable compte tenu des conditions locales et de l’atmosphère d’intimidation susicitée par les médias, la police et le ministre de l’Intérieur, Stanislas Gross.

Stagnation du mouvement

La situation actuelle en République Tchèque reflète celle du reste du monde. Un «establishment de la protestation» s’est formé: quelques groupes et individus sont arrivés à la conclusion qu’il y a eu assez de manifestations et qu’il fallait maintenant s’asseoir autour d’une table et négocier avec les financiers. Arborant un sourire d’hommes d’Etat, ils se sont mis à acheter des billets d’avion pour Porto Alegre et à être de plus en plus convaincus de leur propre importance et de la nécessité de se rendre à des réceptions officielles – par exemple lors du Forum 2000 parrainé par Vaclav Havel.

Un deuxième groupe qui dispose d’aussi peu de membres que de moyens financiers tente de créer un lien entre le mouvement anti-mondialiste et ses propres idées et d’utiliser ce dernier pour imposer différentes idéologies révolutionnaires, pour la plupart marxistes.

Le mouvement anarchiste, qui a joué un rôle clé lors des débats en République Tchèque et lors de l’organisation des plus grandes manifestations des années 2000 et 2002, subit en ce moment une de ses fréquentes crises idéologiques. Les anarchistes tchèques sont incapables de mener des campagnes à long terme tant qu’il n’y a pas une occasion visible et concrète (comme p.ex. les sommets d’institutions multinationales) et que les militants ne voient pas des résultats immédiats. Sans la focalisation sur de tels événements et les liens qui en découlent, leurs activités se dissolvent dans des discussions qui se répètent, sont trop théoriques («que faire, pourquoi et comment, avec qui…») et restent sans conséquences pratiques.

Avec le recul, on peut dire que, comme d’habitude, ce sont les organisations trotskistes qui ont le plus d’endurance. En République Tchèque, elles ne comptent cependant que quelques dizaines de membres et peut-être quelques centaines de sympathisants et ne sont donc pas capables d’organiser seules des actions de masse ou de contribuer plus profondément au mouvement avec des apports politiques ou philosophiques. Les Jeunesses communistes et les trotskistes mènent une activité régulière dans le cadre de GO!, mais leur contribution est pratiquement insignifiante car malgré leur base de quelques centaines de membres et un apport financier de la «maison mère», ils sont incapables de mobiliser des sympathisants et leur influence sur la ligne politique du PC est quasiment nulle. GO! participe surtout à des actions en dehors de la République Tchèque.

Les intellectuels tchèques qui ont une position critique par rapport à la mondialisation (p.ex. Erazim Kohak, Jan Keller et Vaclav Belohradsky) ne peuvent pas s’exprimer dans les médias. Ils sont les cibles privilégiées des politiciens de droite et ne peuvent présenter leurs opinions que dans un seul quotidien (Pravo) et dans quelques petites revues. Les membres critiques des partis politiques établis – que ce soit le PC ou les Sociaux-démocrates – subissent le même sort. Ces partis s’occupent essentiellement de garantir leur propre position dans l’appareil politique du pays. Les Verts sont pour l’instant totalement marginalisés: après une période de dissension entre les fractions du parti commence une phase de consolidation pendant que leur éminence grise, Jakub Patocka, tentera probablement d’imposer un programme de «développement raisonnable dans le cadre de la loi» 2 qui correspond à sa vision du monde socialement conservatrice et écologiquement correcte.

Un petit cercle de personnes (issues des rangs des militants) utilise le thème de la globalisation comme catalyseur pour une carrière politique et s’est introduit par des projets comme p.ex. le Forum 2000 dans l’establishment. L’écho de ce genre d’actions institutionnalisées au niveau local est pourtant insignifiant.

Un autre facteur du mouvement est l’IMC de Prague, facteur qui éveille des espoirs pour l’avenir. Le thème de la globalisation est aussi traité dans les universités mais surtout dans les cours et les conférences et pas en tant que thème de débat.2,9

L’adhésion à l’UE

Au cours des cinq dernières années, une série de publications a traité du phénomène de la globalisation. A quelques exceptions près, ces textes sont publiés par des militants (Fédération anarchiste, Fédération des anarchistes sociaux, SocSol, etc.) ou par des petites maisons d’édition et ne sont lus que par un public très restreint. Pour la grande majorité de la population, la mondialisation reste un terme extrêmement vague qu’elle ne peut pas lier à sa vie quotidienne. On discute beaucoup plus largement de l’adhésion de la République Tchèque à l’Union Européenne, mais là aussi on manque d’informations objectives. A quelques exceptions près, les débats sur ce sujet ont plutôt une connotation populiste que rationnelle.

Le débat sur la mondialisation qui a commencé en 1998 a été interrompu au début du XXIème siècle par une perception forgée par les médias qui présentent la mondialisation comme le problème d’un groupe restreint qui s’efforce de gaspiller son temps et son argent lors de confrontations dans les rues. Une vraie réflexion sur les problèmes en présence est actuellement réprimée dans le mainstream politique tchèque.

Alice Dvorska

Martin Bastl*

Université Masaryk, Brno

* Alice Dvorska travaille sur une thèse dans le domaine de la chimie environnementale à la faculté des sciences naturelles de l’université Masaryk à Brno. Elle est active dans l’INPEG.

Martin Bastl est assistant à la faculté des sciences sociales de l’université Masaryk de Brno dans le domaine des sciences politiques. Il est l’auteur de l’étude Gauche radicale en République Tchèque dans les années 90 du XXème siècle.

Cet article a été publié en langue allemande (traduit du tchèque par Stepan Steiger) dans la revue trimestrielle «Ost-West-Gegeninformationen», No 3/2003, décembre 2003

  1. NdlR: les personnes se réclamant d'un écologisme radical de type Earth First, se situent dans la mouvance libertaire mais ne sont pas «encartés» dans les organisations plus traditionnelles telles que la Fédération Anarchiste

  2. NdlT: allusion au parti fondé avant la première Guerre mondiale par l’auteur du «brave soldat Schwejk», Jaroslav Hajek, une remarque ironique sur la tactique des partis établis

AMP et journées mondiales d’action

Les premières manifestations dont parle cet article ont été organisées à l’initiative de l’Action Mondiale des Peuples (A.M.P.) qui avait tenu sa première conférence mondiale à Genève en février 1998: un appel à une journée mondiale d’action contre l’OMC avait été lancé pour le 16 mai 1998, date d’ouverture de la conférence interministérielle de l’OMC à Genève. A cette occasion, plus de cent villes dans le monde avaient répondu en organisant des manifestations ou des Street parties.

Le 26 septembre 2000, soit un peu moins d’un an après la date mythique de Seattle, la quatrième, et dernière à ce jour, journée mondiale d’action était lancée. Des discussions internes à l’A.M.P. ont abouti à l’arrêt (momentané?) des journées mondiales d’actions, car celle-ci n’avaient pas le même sens dans les pays occidentaux – où l’efficacité en était relativement importante en particulier pour populariser des thèmes tels que la dénoniation de l’OMC ou de la mondialisation – et les pays dits «du Sud», où les mouvements populaires ne comprenaient pas que l’on puisse choisir un jour unique pour lutter, tant leur situation est extrêmement difficile et tendue avec les forces de répression. Un indigène Kuna du Panama, présent à Prague, déclarait en rigolant: «mais si nous, on arrête de lutter un seul jour, on est mort!».

La journée du 26 septembre (le S26) a réuni environ 10 à 15.000 personnes dans les rues de Prague où parfois se sont déroulés des affrontements assez violents. Dès la fin d’après-midi et dans les jours qui suivirent, une répression féroce s’abattit sur les manifestants, et on a dénombré environ 600 arrestations. Certaines personnes ont même été parquées dans des camps, avec un numéro inscrit sur l’avant-bras au marqueur indélébile. Cette répression a surpris par son ampleur, même si des prémices avaient pu l’annoncer, en particulier le 1er mai 2000. Ce jour-là, une manifestation de l’extrême droite, protégée par les forces de police, s’était heurtée à des contre-manifestants des mouvances libertaires et autres.

la rédaction