Sécurité, sur tous les murs j'écris ton nom .

von Nicholas Busch, 10.04.2010, Veröffentlicht in Archipel 96

Surveillance proactive, exclusion et criminalisation: des moyens efficaces de maintien de l’ordre et de la sécurité publique en Europe?*Les communications facilitées et la mobilité toujours accrue caractérisant le processus de mondialisation auraient contribué au développement rapide de nouvelles formes de menaces. Des «associations criminelles internationales» se livrant au trafic de voitures volées, de drogues et d’humains, des réseaux de pédophiles, des groupes extrémistes et terroristes, ainsi que l’afflux constant d’immigrés «illégaux» et de «faux» réfugiés menaceraient l’ordre et la sécurité publiques, et même la sécurité des Etats et la stabilité politique dans l’ensemble de l’Union Européenne (UE). Voici le «scénario de menaces» qui sert de justification officielle pour la coopération «sécuritaire» des pays membres de l’UE dans les domaines de la justice, la police, l’ordre public, la lutte contre le crime, et notamment la politique d’asile et d’immigration.

En langage communautaire, la coopération dans ces domaines est désignée par le terme JAI (Justice et Affaires Intérieures). Jusqu’ici, la coopération JAI s’est soldée presque exclusivement par la création d’un véritable arsenal «sécuritaire» de normes de droit, de structures institutionnelles/organisationnelles et d’outils technologiques aux fins de contrôle à titre préventif de groupes toujours plus larges de la population (…).
Ce réarmement sécuritaire était nécessairement accompagné d’un affaiblissement progressif et sournois des droits et libertés de tous les citoyens. Néanmoins, il a été accepté et même applaudi par des parties importantes de la population comme une condition nécessaire au maintien de la «sécurité». Considérant que «la sécurité a son prix», peu de gens s’élèvent contre le fait que, de plus en plus, le contrôle est généralisé. (…) Presque à tout moment et en tout lieu nous pouvons être soumis à un contrôle d’identité par des organes de la police ou des douanes pourvus d’accès direct au Système d’information Schengen (SIS) ou autres systèmes informatiques policiers. Nos données personnelles les plus sensibles peuvent être stockées et traitées dans des banques de données informatiques policières et autres. Ces données peuvent être communiquées à d’autres banques de données, y compris étrangères, sans que nous en soyons informés. Nous ne pouvons jamais être certains que nos conversations ne soient pas écoutées et que nos télécommunications ne soient pas surveillées - tout cela sans que nous soyons soupçonnés du moindre délit.
En ce qui concerne l’asile et l’immigration, tout porte à croire que le nombre de personnes qui ont perdu la vie alors qu'elles tentaient d’entrer sur le territoire de l’UE se chiffre à des milliers. En même temps, des centaines de milliers d’immigrés clandestins sans-papiers se battent à l’intérieur de la «forteresse Europe» pour une survie difficile – les «hors-la-loi» des temps modernes.
La question de savoir si la politique sécuritaire menée dans le cadre de la coopération JAI est justifiable d’un point de vue éthique et humanitaire a souvent été discutée. Or, les considérations humanitaires semblent avoir de moins en moins de prise sur une opinion publique marquée par des sentiments d’impuissance, d’incertitude et de crainte de l’avenir.

Efficacité de la politique sécuritaire
C’est pourquoi, aujourd’hui, je tente une approche un peu différente du sujet. A partir d’une présentation sommaire de quelques traits caractéristiques de la coopération Schengen et JAI, je voudrais, en partant des intérêts propres de ce «peuple élu» que constituent les citoyens de l’Union, entamer une réflexion portant sur les questions suivantes: qu’en est-il de l’efficacité de la politique européenne dite sécuritaire par rapport à son objectif officiellement déclaré, c’est-à-dire le maintien de la sécurité des citoyens? Est-ce qu’une politique qui mise de plus en plus sur les mesures sécuritaires-policières peut vraiment être un moyen efficace pour le contrôle des flux migratoires et du développement de la criminalité? Et enfin, quel prix sommes- nous prêts à payer pour quelle «sécurité»?

Coopération policière: du réactif au proactif
Un élément caractéristique de la coopération policière européenne est l’importance grandissante de l’action dite préventive ou proactive des organes de police. Au nom d’une prétendue meilleure efficacité de la lutte contre le crime, les pouvoirs policiers sont étendus aux fins de permettre à la police d’agir bien avant qu’il existe un soupçon quelque peu matérialisé de délit. Le contrôle change fonda-mentalement de caractère, puisqu’il ne vise plus des individus sur une base d’égalité devant la loi, mais des catégories entières de personnes, et cela selon des critères non pas établis par la loi, mais par les pouvoirs exécutifs eux-mêmes. Selon la logique de l’action proactive, le principe de la présomption d’innocence est, de fait, mis en question. Jusqu’à preuve du contraire, tout individu peut être considéré comme futur délinquant potentiel et mérite donc d’être contrôlé, surveillé et fiché à titre préventif.
Enfin, alors que les mesures policières de contrôle proactif, théoriquement, visent tout le monde, dans la pratique ce sont des catégories de personnes aux conditions de vie précaires, des milieux considérés comme déviants ou dissidents, et tout particulièrement les personnes d’apparence «non-européenne» qui deviennent les cibles préférées du contrôle proactif sécuritaire.
Les tendances décrites ci-dessus sont apparentes dans presque toutes les mesures introduites dans le cadre de la coopération Schengen et JAI.

L’immigration et la criminalité organisée
En ce qui concerne la coopération sécuritaire et policière européenne, l’amalgame fait entre la «criminalité organisée internationale» et l’immigration est évident.
La prétendue avancée de ce qu’on appelle un peu vaguement la «criminalité organisée internationale» a servi d’argument principal en faveur de la coopération sécuritaire européenne. Ceci est d’autant plus remarquable en l’absence manifeste d’accord, sur le plan européen, sur une définition scientifique et encore moins juridique du phénomène visé. (…) Le criminologue M. Levi a décrit ainsi, ce que le pouvoir d’Etat entend par la notion de la «criminalité organisée»: «Un cercle de personnes que la police ou d’autres services de l’Etat considèrent, ou veulent que nous considérions, comme “véritablement dangereux” pour l’intégrité fondamentale de l’Etat».1
Typiquement, le discours dominant tend à associer le phénomène de la criminalité organisée avec des milieux à la marge de la société – une «criminalité des égouts», pour ainsi dire, composée d’une «canaille» internationale de voleurs de voitures, de marchands de drogue, de terroristes fanatiques, de trafiquants d’hommes et d’immigrés «illégaux». Ainsi, l’attention publique risque d’être détournée du fait que la criminalité («organisée» ou non) émane souvent de milieux bien établis dans la société et proches du pouvoir. N’est-ce pas un élément caractéristique de notre époque qu’il devient de plus en plus difficile de distinguer entre les affaires et associations «légales» d’une part et celles «illégales» de l’autre? Alors que des scandales de corruption secouent les grands partis politiques dans plusieurs pays d’Europe, est-il nécessaire de rappeler que, dans un contexte de compétition économique «mondialisée» et de plus en plus brutale, même des grandes entreprises et des banques à réputation internationale succombent facilement à la tentation de faire recours, pour des raisons de pouvoir et de profit, à des pratiques et des fréquentations criminelles nécessitant un haut niveau d’organisation?
Enfin, à l’égard de secteurs entiers de l’économie européenne (par exemple le marché de l’immobilier, les industries du bâtiment, les secteurs agro-alimentaires, de la restauration et du textile), on pourrait même parler, comme le fait le criminologue Vincenzo Ruggiero, d’une «relation symbiotique entre l’économie légale et des structures à caractère mafieux, où il est de moins en moins clair qui, au vrai, rend des services à qui, qui apprend de qui, et qui corrompt qui».2
Notons, à titre d’exemple, que le somptueux siège du Parlement Européen à Bruxelles autant que le nouveau quartier gouvernemental de Berlin on été construits par des sociétés du bâtiment faisant systématiquement appel à des ouvriers recrutés en Europe de l’Est sans permis de travail ni de séjour. Qui corrompt qui?
Cette relation symbiotique caractérise aussi un type de criminalité organisée qui, entre temps, sert de prétexte principal à l’expansion de l’appareil policier-sécuritaire européen – le trafic international d’hommes. En effet, les réseaux de «passeurs» offrent, dans la plus pure logique de l’économie de marché, un service là où l’UE, par sa politique d’»immigration zéro», a créé une demande et, par conséquent, un marché. Ce service, ils ne le rendent pas seulement à ces migrants et réfugiés «invisibles» qui, confrontés avec la quasi impossibilité d’une entrée légale, tentent d’entrer illégalement sur le territoire de l’UE, mais aussi, et peut-être surtout, à ces secteurs parfaitement légaux et «visibles» de l’économie qui dépendent largement de l’afflux constant de cette main-d’oeuvre bon marché et docile que représentent les immigrés clandestins.
Alors que les gouvernements de l’UE semblent peu pressés de s’attaquer à cette clientèle complice «en aval» du trafic d’hommes, ils ne manquent aucune occasion pour reprocher aux pays tiers voisins de l’UE, connus comme pays d’émigration ou de transit, leur prétendu manque de détermination dans la lutte contre l’immigration «illégale» et les réseaux de trafic humain pour imposer à ces Etats une approche répressive et sécuritaire du phénomène. Cette pratique d’ingérence «suprématique» commence à susciter une certaine irritation dans des pays comme la Pologne, la Bosnie-Herzégovine, la Roumanie et l’Albanie. (…)

En février 2001, le gouvernement suédois, pour réduire l’afflux vers la Suède de requérants d’asile via la Bosnie, dépêcha un groupe de fonctionnaires de l’immigration et de la police à Sarajevo, avec comme mission, d’»assister» les autorités bosniaques dans la lutte contre l’immigration «illégale». En Bosnie, les réactions à cette initiative furent peu enthousiastes. La presse parlait d’»assistance interventionniste» et le ministre bosniaque, Fadil Haveric, responsable des droits de l’Homme et des réfugiés, constata, non sans amertume que l’objectif de l’Europe de l’Ouest n’était pas d’aider à trouver une solution au problème, mais plutôt de bloquer les flux migratoires en Bosnie-Herzegovine, la transformant ainsi en une «réserve» pour les migrants dont l’Europe ne veut pas.3
Les clivages sociaux et économiques toujours grandissants, autant sur le plan mondial qu’à l’intérieur de l’UE, ne peuvent conduire qu'à un climat de confrontation généralisée où les nantis «cherchent à défendre leurs privilèges, tandis que ceux qui sont absolument ou relativement déshérités se battent pour leur part du gâteau»4. Il n’est pas étonnant qu’un tel climat de compétition brutale et de confrontation donne naissance à de nouveaux types de criminalité. Alors qu’au début des années soixante la différence de revenus entre les pays les plus riches et les pays les plus pauvres était de 30 à 1, elle était de 74 à 1 en 1997. Face à ces chiffres, Enzo Bianco, alors ministre italien de l’Intérieur, constatait en 2000: «Il y a un rapport direct entre ces chiffres et la mondialisation de la criminalité organisée».5

Une coopération européenne efficace?
Face à cette réalité, la question s’impose de savoir si une coopération européenne qui mise presque entièrement sur les méthodes policières-sécuritaires peut être efficace par rapport à son but énoncé de maintien de la «sécurité» de la population européenne.
Quant à la politique d’immigration et d’asile, dans les mesures introduites dans le cadre Schengen et JAI, on «s’accroche à l’idée qu’une augmentation et amélioration des mesures de dissuasion représente la seule voie en avant – qu’à terme, on arrivera à contrôler l’incontrôlable»6. Cette attitude est d’autant plus étonnante que tout semble indiquer que malgré l’arsenal de mesures de contrôle et de dissuasion déjà mis en place, l’immigration irrégulière vers l’Europe ne cesse d’augmenter rapidement.
A titre d’exemple, selon un rapport émanant du Parlement italien, 77.000 migrants sont arrivés sur la côte italienne et 55.000 femmes étrangères «sans-papiers» (dont un tiers en dessous de 18 ans) auraient été contraintes à la prostitution dans les seules années 1999 et 2000. Dans un rapport de l’an 2000, Interpol estimait le nombre des immigrés clandestins chinois dans la seule région parisienne à 80.000. Au Royaume Uni, le ministre de l’Intérieur d’alors, Jack Straw, admettait, fin 2000, que les autorités d’immigration britanniques avaient perdu tout contact avec 70.000 requérants d’asile dont on suppose qu’ils ont choisi la clandestinité pour éviter leur expulsion7.
Enfin, selon un rapport confidentiel d’Europol, au cours de l’an 2000, alors que 290.000 personnes ont demandé l’asile dans les pays membres de l’UE, environ 500.000 sont arrivées clandestinement (contre seulement 40.000 en 1993)8.
Est-ce tellement étonnant? Il devrait être évident qu'il est inutile pour une personne voulant entrer en Europe de demander un visa quand elle sait d’avance que l’entrée et le séjour légal vont lui être refusés. Et cela n’a pas de sens pour un réfugié de demander l’asile quand l’expérience démontre qu’en déposant une demande d’asile, on révèle son identité et son adresse à des autorités dont la principale préoccupation semble être de vous enfermer dans un centre de détention, de rejeter votre demande et de vous renvoyer dans votre pays d’origine le plus vite possible.
Y a-t-il alors de quoi s’étonner si nous assistons actuellement dans tous les pays européens à l’émergence de ce qu’on pourrait appeler des «sociétés de l’ombre» à côté de la société officielle? Ces sociétés de l’ombre sont formées par le nombre toujours croissant de personnes exclues de la société visible et officielle. En premier lieu il s’agit d’immigrés soit-disant «illégaux» (…) dont le principal souci est de ne pas se faire repérer, de rester «invisibles». Pour l’Etat et ses organes, ces gens n’existent pas, il n’ont pas de statut légal. Il sont littéralement les «hors-la-loi» des temps modernes. Or, même les hors-la-loi doivent vivre. Dans leur lutte quotidienne pour la survie, il deviennent une proie facile pour le marché du travail au noir et toutes sortes de réseaux criminels à la recherche constante autant de victimes que de recrues exploitables.
Disons-le clairement: même par rapport a ces objectifs déclarés, la politique d’immigration européenne a dramatiquement échoué. Au lieu d’empêcher l’immigration, elle a contribué à l’augmentation de l’immigration irrégulière et ainsi à l’émergence de ces sociétés de l’ombre, terreau de la criminalité, des conflits sociaux et de la violence.
Il est difficile d'envisager comment un tel développement pourrait être propice à l’ordre et la sécurité publique.
Alors que le renforcement continuel d’un appareil sécuritaire proactif européen contribue à la discrimination, l’exclusion et la criminalisation de groupes de population entiers, on cherchera en vain la moindre indication permettant de conclure que ce réarmement sécuritaire aurait eu un effet positif sur le développement de la criminalité en Europe9.
Tout au contraire, comme l’indique l’interaction déjà constatée entre la politique communautaire dans le domaine de l’immigration et de l’asile et la montée du trafic de migrants, il y a lieu de croire que cette politique prétendument sécuritaire constitue elle-même, à terme, une menace pour «l’ordre et la sécurité publique», en contribuant à la montée d’un climat fait de méfiance généralisée, de privation des droits, de discrimination et d’arbitraire. A son tour, un tel climat alimente les sentiments de frustration, d’aliénation et de révolte d'où naissent la confrontation et la violence. L’avancée de partis d’extrême droite dans plusieurs pays européens en est la preuve.

Une ère de «mondialisation» accélérée
Nous vivons dans une ère de «mondialisation» accélérée. J’entends par «mondialisation» non pas la dominance mondiale actuelle d’un régime économique néolibéral (qui pourrait bientôt s’avérer être de nature très temporaire), mais la mobilité globale toujours accrue des capitaux, des marchandises, des services et des personnes, mobilité qui résulte de progrès technologiques facilitant différents types de communications (…). Des informations peuvent aujourd’hui être échangées, des mesures de contrôle être exercées, des ordres être donnés dans un lieu et exécutés dans un autre, à des milliers de kilomètres de distance – tout cela en principe en tout lieu, à toute heure et dans les plus brefs délais. Ainsi, des décisions, des événements et des développements dans des régions lointaines peuvent rapidement et profondément influencer notre propre situation, et vice versa.
Dans l’ère de la mondialisation littéralement «sans bornes», la «sécurité» ne s’obtient plus par des mesures unilatérales visant à tenir à l’écart d’un territoire particulier (un Etat, un groupe d’Etats) des problèmes à caractère global.
Alors que les adeptes néo-libéraux du «moins d’Etat» ne semblent jamais rater une occasion pour dénoncer des prétendus manques d’efficacité et de «rendement», quand il s’agit de justifier le démantèlement du secteur public dans des domaines tels que les transports, la santé, ou l’éducation, rares sont ceux qui appellent à une évaluation du rapport coûts-bénéfices quand il s’agit de l’appareil sécuritaire-policier. Or, une telle évaluation systématique s’impose d’urgence. Ses résultats pourraient mettre en évidence la nécessité d’un vaste débat européen sur la notion même de «sécurité»: qu’entendons-nous par «sécurité»? Qu’est-ce qui nous fait peur? Qui et quoi menace notre sécurité? Quels sont les facteurs générateurs de migration et de fuite? Comment prévient-on la formation d’environnements criminogènes?
Il s’agit de mettre en lumière, avant qu’il ne soit trop tard, les défaillances et les dangers inhérents à une politique «sécuritaire» qui tente de réduire la perception publique du manque grandissant de sécurité ontologique aux seuls phénomènes de l’immigration et de la criminalité.

(Nicholas Busch est conseiller politique en affaires juridiques européennes, du Parti de Gauche Suédois, *nbusch@telia.com* )

*Contribution de Nicholas Busch à la rencontre européenne du mouvement des sans-papiers à Berne,
18-19 mai 2002. Ce texte est, en grande partie, un résumé très sommaire d’une étude réalisée par l’auteur à la demande des députés PDS membres du groupe GUE/NGL au Parlement Européen: «Ein “Raum der Freiheit, der Sicherheit und des Rechts”? - Polizeiliche und justitielle Zusammenarbeit in der EU», 60 pages, à paraître

Europol
L’Office Européen de Police, est chargé du traitement des «renseignements relatifs aux activités criminelles».
Aux fins «d’analyse» d’activités et de milieux criminels, Europol est autorisé à traiter des renseignements relatifs aussi à des catégories de personnes non-suspectées d’un délit, telles que les futures victimes possibles de crimes, les témoins potentiels, les personnes en «contact» avec des délinquants présumés, etc.1 Le traitement de données personnelles concernant les opinions politiques, la santé, la race et la vie sexuelle est autorisé, lorsque cela est jugé nécessaire par Europol.2
(…) La lutte contre l’immigration illégale figurait parmi les toutes premières priorités d’Europol. De plus, plusieurs enquêtes analytiques opérationnelles ont pour objet des types de criminalité associés à des milieux d’immigrés. Ainsi, une analyse opérationelle vise «les crimes commis sur le territoire de l’Union Européenne, par les personnes originaires de l’Afrique de l’Ouest, en particulier, du Nigéria». Une autre analyse vise des cercles de personnes pouvant être impliquées d’une facon ou d’une autre dans les activités du présumé réseau terroriste Al Kaida d’Oussama ben Laden. Selon M. Storbeck, dans le cadre de cette enquête, en moins de deux mois, on avait, pour un seul pays membre de l’UE, stocké électroniquement les numéros de téléphone de 18.000 personnes.

  1. Convention Europol, article 10
  2. Durchführungsbestimmungen zu den Arbeitsdateien zu Analysezwecken, 3.11.98, OJ 1999/C 26/01-09

Eurodac
Il s'agit d'un système informatique pour le stockage, l’échange et la comparaison automatisée des empreintes digitales de toutes les personnes, à partir de quatorze ans, ayant déposé une demande d’asile dans un pays membre de l’UE, ainsi que d’autres étrangers rencontrés en situation d’entrée ou de séjour irréguliers. Avec la création d’Eurodac, un pas décisif dans le sens du contrôle proactif généralisé a été franchi, puisqu’une catégorie entière de personnes est contrainte à se soumettre à un type de fichage (auparavant réservé aux délinquants graves) qui porte atteinte à l’intégrité et à la dignité des personnes concernées.
Ce fichage résulte non pas d’un soupçon individualisé à l’encontre des personnes visées, mais d’une mise en suspicion collective en raison de la situation de vie dans laquelle se trouvent les réfugiés et autres catégories de migrants et d’immigrés aux statuts précaires. Le message au public est clair: les requérants d’asile et les sans-papiers sont à considérer a priori comme des fraudeurs suspects, présumés coupables.

Le SIS
Le Système d’Information Schengen a une fonction dépassant de loin la simple recherche criminelle. En effet, il a pour objet, entre autres, «de préserver l’ordre et la sécurité publics y compris la sûreté d’Etat»1. Par conséquent, en grande majorité les personnes signalées au SIS ne sont pas des délinquants suspects ou condamnés, mais des personnes non-suspectes.
En mai 2000, environ 1,3 millions de personnes étaient signalées au SIS.2 Alors que 11.000 délinquants accusés ou condamnés étaient recherchés pour être extradés, environ 780.000 personnes, ressortissantes de pays tiers (non-UE), signalées en vue du refus d’entrée sur le territoire Schengen. On peut présumer qu’en grande partie ces personnes sont des requérants d’asile et des sans-papiers dont le seul crime consiste à avoir fait l’objet, dans un des Etats Schengen, d’une mesure d’éloignement.
Par conséquent, force est de constater que le SIS, dans l’état actuel, sert d’outil non pas pour la chasse aux criminels mais surtout pour la chasse aux etrangers au statut précaire.

  1. Convention d’Application Schengen, article 93
  2. Les chiffres relatifs au SIS sont tirés du 4ème rapport annuel de l’Autorité de Contrôle Commune, SCHAC 2533/1/00 rev 1, 18.7.00