SUISSE: Dissuasion plutôt qu'asile

13.08.2010, Veröffentlicht in Archipel 117

Du 3 au 7 mai dernier, le Conseil national était réuni en session extraordinaire à Berne pour débattre des modifications de la loi sur l?asile (LAsi) ainsi que de celle sur les étrangers (LETr). Les débats et les propositions d?amendements étaient si nombreux que seule la première a pu être votée. Il faut désormais que la LAsi poursuive sa navette en passant devant la deuxième chambre, le Conseil des Etats.

Du 3 au 7 mai dernier, le Conseil national était réuni en session extraordinaire à Berne pour débattre des modifications de la loi sur l’asile (LAsi) ainsi que de celle sur les étrangers (LETr). Les débats et les propositions d’amendements étaient si nombreux que seule la première a pu être votée. Il faut désormais que la LAsi poursuive sa navette en passant devant la deuxième chambre, le Conseil des Etats. Quant à la LETr, elle sera examinée par le Conseil national durant sa session d’été.

«Quelles sont les formes de criminalité à laquelle des étrangers sont mêlés qui menacent le plus l’ordre public et la sécurité dans votre canton?» . C’est là l’introduction d’une circulaire envoyée aux directions de police cantonale par Christoph Blocher en février 2004 et dont les réponses ont été utilisées tout au long du débat par le Conseiller national: «les abus sont encore plus importants que je me l’imaginais» , tel était son leitmotiv .

La loi sur l’asile a été considérablement durcie. Après le débat du 5 mai, le Conseiller national Ruedi Lustenberger, du parti centriste PDC (démocrate chrétien) se vantait de ce que son parti n’avait soutenu aucun des amendements déposés par la Gauche. Ce parti voulait même vider de sa substance la seule amélioration introduite par la nouvelle loi, concernant le permis de séjour pour raison humanitaire pour des personnes qui ne peuvent pas être renvoyées. Pourtant, ces améliorations permettaient aux requérants d’asile d’obtenir un soutien à la formation professionnelle et un meilleur accès au monde du travail, ce qui constitue non seulement un plus du point de vue humanitaire mais leur permet également de ne plus dépendre des prestations sociales. Il semblerait que cette idée fixe de la dissuasion fasse oublier au camp bourgeois toute considération économique! L’amélioration de ce statut humanitaire est néanmoins relative puisqu’il s’agit d’un statut «provisoire» qui dure: en effet, il ne garantit nullement une transformation ultérieure en un permis de séjour régulier. Compte tenu de sa composition, il se pourrait même que le Conseil des Etats supprime purement et simplement ce statut humanitaire.

Coup sur coup

Par ailleurs, le Conseil national n’a fait que distribuer des coups aux requérants d’asile. La pièce maîtresse de cette révision concernait le concept de «pays tiers sûr». Les demandes d’asile émanant de personnes qui ont pénétré sur le territoire suisse via un pays considéré comme sûr, soit 98% des requérants d’asile, ne seront pas étudiées, sauf si les pays en question refusent de les reprendre. Jusqu’à présent, un délai de transit de ces pays dits sûrs pouvant aller jusqu’à 20 jours était toléré. La suppression de cette tolérance exclut de fait de la procédure d’asile tout requérant qui n’est pas venu directement de son pays d’origine.

Si les procédures dans les centres d’accueil et les aéroports sont désormais accélérées, les possibilités de recours sont quant à elles fortement réduites: les délais pour faire appel contre une décision de non entrée en matière passent de 30 à 5 jours et l’emprisonnement peut intervenir immédiatement après cette décision. Les données personnelles concernant le requérant peuvent être transmises au pays d’origine avant même que la procédure soit terminée, ce qui met en danger non seulement la personne elle-même mais aussi sa famille restée au pays. De plus, toute représentation légale gratuite lui est désormais déniée.

Alors qu’auparavant, il fallait trois juges pour instruire les différentes procédures, il n’y en aura dorénavant plus qu’un et l’aide au développement des pays d’origine est conditionnée par leur coopération lorsqu’il s’agit de reprendre leurs ressortissants.

Les nouveaux parias

Il s’agit là d’un peu plus qu’un simple démantèlement du Droit. Nous assistons à la création d’une classe de parias. En effet, les personnes victimes d’une décision de non entrée en matière seront soit emprisonnées, soit jetées à la rue en tant que hors-la-loi, sans-papiers; éjectées de la procédure d’asile, leur seule présence sur le territoire sera considérée comme un crime. Selon la Constitution, l’Etat suisse n’a pas le droit de laisser mourir de faim qui que ce soit sur son territoire; elle-ci, au même titre que la Convention des Droits humains, garantit le droit à la vie. Toute personne souffrant du froid ou de la faim a droit à une aide d’urgence de l’Etat. Mais qu’une personne devenue illégale à la suite d’une non entrée en matièrfasse une telle demande et elle courra le risque d’une arrestation – des cas de ce genre nous ont déjà été signalés – ou de voir cette aide réduite à quelques jours seulement.

Mais pour le Conseiller fédéral Blocher et son UDC, la loi sur l’asile n’a pas encore été assez durcie. La commission du Conseil des Etats pourrait bien avaliser certains des amendements les plus outranciers, repoussés pourtant pas le Conseil national.

Anni Lanz

«Sans nous rien ne va plus»

«Sans nous rien ne va plus»

Le 4 mai dernier, au moment où la LAsi et la LETr étaient discutées au Parlement, nous avons participé à une journée nationale d’action devant les sièges des polices des étrangers. Dans le cadre de la campagne «Sans nous rien ne va plus»*, une quinzaine de villes à travers tout le pays ont été le cadre d’actions pour dénoncer le caractère xénophobe de ces lois. Depuis la victoire de la droite dure aux dernières élections fédérales, les polices des étranger se sentent renforcées dans leurs préjugés qui veulent que tout étranger doive être soumis à des méthodes d’exception.

En se revendiquant d’une soi-disant vox populi, le parlement semble oublier qu’à ce jour, toutes les votations à caractère xénophobe ont toujours été repoussées. James Schwarzenbach avait échoué tout aussi lamentablement dans les années 70 qu’aujourd’hui Philipp Müller, l’expert autoproclamé du parti radical (PRD, libéral) en matière de migration et auteur de l’initiative populaire dite des «18%» qui prévoyait de limiter la population étrangère à ce quota. La LETr, au même titre que la LAsi sont imprégnées d’une idéologie raciste selon laquelle des personnes peuvent avoir des droits différents: la LETr ne sera en effet appliquée qu’aux étrangers qui ne viennent pas d’un pays membre de l’UE. C’est pourquoi la campagne «Sans nous rien ne va plus» continue. On ne peut pas accepter, dans un des pays les plus riches de la planète, l’instauration d’une véritable société à deux vitesses où les uns auraient tous les droits et les autres, soit 1,5 millions d’habitants sur 7 millions, ne soient tolérés que comme force de travail à bon marché et comme contribuables.

Claude Braun, FCE -Suisse

* voir Archipel No 110, novembre 2003