TERRE A TERRE: La biodiversité est un trésor

von Heike Schiebeck (Longo maï), 10.08.2010, Veröffentlicht in Archipel 183

Venus de Turquie, du Mexique, de l’Equateur, nos invités à la 5ème rencontre sur les semences en mars dernier à Graz nous ont convaincus de l’importance de notre résistance au durcissement de la législation européenne à ce propos.

Abdullah Aysu et Olcay Bingol, de l’organisation Cifti Sen, membre de Via Campesina, nous ont parlé de l’énorme richesse en biodiversité de la Turquie. La population maîtrise encore le savoir lié à la reproduction des espèces, contrairement à de nombreux pays européens. En vue d’une éventuelle entrée dans l’Union Européenne, le gouvernement veut diminuer le nombre d’actifs dans l’agriculture de 36% à 7%. Presque toutes les organisations paysannes sont interdites, ce qui rend leur travail difficile.
Suite aux accords nord-américains de libre-échange NAFTA, signés en 1994 par le Canada, les Etats-Unis et le Mexique, les multinationales ont exercé une pression énorme sur le gouvernement mexicain pour qu’il modifie sa législation sur les semences. Les droits de douane ont été réduits, jusqu’à disparaître complètement depuis janvier 2008 pour le maïs. La consommation de maïs mexicain comporte déjà 30% de maïs d’importation à bon marché OGM, mais pas déclaré comme tel. Ce maïs n’étant pas seulement destiné à la consommation, mais utilisé aussi comme semence, il contamine les souches indigènes. Les subventions agricoles des Etats-Unis permettant l’importation de maïs à très bon marché ont contraint des millions de petits paysans à quitter leur terre, dans l’impossibilité de vendre leur récolte. A la recherche de travail, beaucoup tentent d’aller aux Etats-Unis. Mais NAFTA garantit la libre circulation des marchandises, pas celles des hommes qu’on emprisonne s’ils tentent de franchir la frontière hermétique nord-américaine, ou que l’on refoule.
Ana de Ita a créé avec des organisations indigènes et paysannes le «Réseau pour la défense du maïs (red de defensa del maiz). Elle dirige le CCAM (centre d’études pour le changement dans la campagne mexicaine); elle est active depuis de nombreuses années dans le mouvement anti-maïs OGM et pour la biodiversité.
A Graz elle nous a raconté ce qui se passe au Mexique en matière de semences et d’OGM.

Ana de Ita

Le 6 mai 2009, le président du Mexique a décrété le report du moratoire contre la culture de maïs OGM. Ce moratoire avait été décrété en 1998, au moment où l’on prenait conscience que le Mexique et l’Amérique centrale étaient le berceau du maïs. Depuis toujours, les tortillas (galettes de maïs) sont la nourriture de base essentielle, nous consommons de 150 à 200 kg de maïs par personne et par an. Ceci n’a pas changé, mais le président n’en a pas tenu compte, et on peut désormais semer du maïs OGM. Depuis l’an dernier on dénombre 24 champs expérimentaux de maïs OGM dans les cinq Etats du nord du pays. Ces cultures d’essai sont le premier pas vers une future implantation commerciale. C’est l’une des plus grandes menaces qui pèsent sur le Mexique actuellement.
La deuxième menace, c’est la nouvelle législation sur les semences entrée en vigueur en 2007, la raison de notre venue à Graz. Elle prévoit la privatisation et la criminalisation des semences paysannes. L’agriculture paysanne structurée en petites exploitations est ici très importante, même si le gouvernement est depuis longtemps du côté de l’agro-industrie et des monocultures sur de grandes surfaces. Selon des statistiques de 2007, 14% seulement des surfaces agricoles sont cultivées avec des semences industrielles, et seuls 25% des paysans achètent leurs semences. L’utilisation des surfaces varie d’une sorte à l’autre: 74% pour le maïs, 91% pour les haricots, 90% pour le riz, et les semences proviennent de la propre récolte.
Le marché des semences au Mexique est dominé à 80% par quatre sociétés multinationales: Monsanto, Pioneer, Dupont et Aspro. La loi sur la production, la certification et le commerce des semences protège les multinationales et les autorise à prendre des mesures contre les paysans qui utilisent leurs semences sans rien payer. La loi interdit l’échange et la vente des semences paysannes. Seules les semences produites à partir de la propre récolte et les semences achetées officiellement sont légales. Il faut pouvoir le prouver par une facture ou l’étiquetage. Les semences d’un autre agriculteur sont illégales. Cette loi n’est pas encore complètement appliquée dans la pratique, mais ceci pourrait bientôt changer sous la pression des multinationales. Si on réfléchit à la quantité de semences échangées, on se rend compte que cette loi est une agression terrible pour les petits paysans. Leurs semences sont vues comme une concurrence aux semences commerciales. Au Mexique, 4,2 millions de paysans, soit 80%, cultivent des surfaces inférieures à 5 ha. Ils sèment uniquement leurs propres variétés, sans arrosage artificiel ni produits chimiques. Les petits producteurs sont les véritables gardiens de la biodiversité. Seule l’agriculture industrielle et ses grandes surfaces utilise des semences achetées et produites industriellement.
Le Mexique est le pays d’origine génétique du maïs. Il y a 7.000 ans, des hommes ont commencé à le cultiver à partir d’une plante sucrée insignifiante nommée teocintle, donnant naissance à 61 variétés locales et à des milliers d’autres. Mais cette grande diversité de variétés s’est réduite à 80% entre 1930 et aujourd’hui. Les cultures méso-américaines n’ont jamais été des monocultures. Pour diminuer les risques, il est plus intéressant de cultiver ensemble des variétés différentes qui s’adaptent aux conditions climatiques et géographiques. Le système alimentaire des peuples indigènes d’Amérique centrale compte de 1.000 à 1.500 plantes, quand le reste du monde en compte 15. Il y a 50 ans, la tentative de la révolution verte de nourrir le monde avec moins de sortes est restée sans succès car les variétés industrielles ne se sont pas adaptées aux conditions climatiques.
La fête traditionnelle du maïs a toujours été l’occasion d’échanger des semences en provenance des exploitations familiales. La nouvelle loi s’oppose à cette pratique, donc directement aux droits paysans. La diversité des plantes et de leur culture reflète la diversité des cultures et des savoirs. Quand une sorte disparaît, le savoir collectif qui lui est lié disparaît aussi. C’est pourquoi la nouvelle loi sur les semences, en privilégiant les variétés industrielles aux caractères limités, menace la diversité.
La nouvelle loi complète celle sur la sécurité biologique, que nous appelons aussi loi Monsanto car elle met en danger la biodiversité. Elle donne à la multinationale le contrôle du marché des semences et réprime la production paysanne. Ces lois ont été faites pour les multinationales. La nouvelle loi exige aussi que la semence soit uniforme, stable et identifiable. Mais la semence paysanne répond à d’autres critères, car les paysans l’ont créée en interaction avec la nature. Cette semence est considérée comme pirate par les multinationales qui arguent que l’utilisation de semences sans étiquette risque de contaminer le pays. Elles veulent réprimer les semences indigènes dont elles ne tirent aucun profit. Leur objectif est que d’ici 2025, 60% des semences soient certifiées. Il semble évident que les multinationales s’opposent à ce que les paysans nourrissent le monde, c’est pourquoi cette rencontre de Graz est si importante.
Dans une certaine mesure, l’Europe joue un rôle de pionnier. Nous voyons ici l’avenir qui sera le nôtre. Pourtant nous espérons que cela n'arrivera pas. Il y a aussi l’autre côté, celui de la résistance que vous portez ici avec nous. Pour nous, au Mexique, la voie européenne représente un grand espoir, en prouvant qu’une agriculture sans OGM n’est pas une utopie. Les mouvements sociaux vont faire en sorte que le monde ne soit pas celui que veut Monsanto. Les propositions et revendications que vous élaborez en ce moment à Graz doivent s’opposer aux privatisations. Les droits paysans de produire la semence, de la cultiver, de l’échanger et de la vendre doivent être respectés. Quand nous entendons dans les pays du Sud que nous ne pourrons plus semer sans payer, ça nous semble fou, comme si on voulait nous interdire de respirer. Les droits des paysans existent parce que ce sont eux qui ont créé la diversité. Avec Via Campesina, nous disons «pas de brevet sur le vivant», et «la semence n’est pas une marchandise!». C’est pourquoi il est très important pour moi d’être ici. Si vous gagnez, nous gagnons tous.

Semer l’avenir

Après la 5ème rencontre sur les semences à Graz (voir la «déclaration de Graz» en encadré), nous poursuivons la campagne «Semer l’avenir – récolter la diversité» jusqu’à la fin 2010, année de la biodiversité. Vous trouverez la pétition sur le site www.saatgutkampagne.org. Sur la rencontre de Graz, des rapports et des photos, ainsi que prochainement un film sont disponibles sur le site

http://www.liberate-diversity-graz2010.org./