TERRE A TERRE : Mettez du sang dans votre moteur

07.05.2010, Veröffentlicht in Archipel 149

Au Salon de l’Agriculture 2007 à Paris, une partie du hall 2 s’était transformée en salon de l’automobile! Ils étaient tous là, Peugeot, Ford, Renault, etc. Avec des grosses planètes qui pendaient du plafond et des petites fleurs peintes sur les portières des voitures. Emouvant: ils clament haut et fort qu’ils vont sauver la planète avec l’éthanol et les huiles de colza!

Les grands slogans sont lancés: biodiesels, biocarburants, or vert, carburants verts, «le carburant qui voit la vie en vert» ... L’édition spéciale Ford des Cahiers de l’Automobile titre «Bio-Carburants» , Bio faisant 7 cm de hauteur et carburants faisant 1,5 cm de hauteur: les grands pièges de la sémantique pour endormir le peuple. Le même magazine en page 7 titre «le bio en 40 questions» . Quel «bio»? Est-ce une nouvelle abréviation pour «biocarburant»? Plus l’intoxication est grosse, mieux elle passe! Pourquoi se gêner?

Les 40 questions susdites concernent les agro-carburants et nous apprenons que l’éthanol ne se boit pas (aucun risque d’accroître l’alcoolisme dans ce pays!), que l’utilisation des pesticides baisse depuis 10 ans (témoin l’accélération du nombre de cancers!) et que la baguette de pain ne va pas augmenter! Il est vrai que si la baguette augmentait de 100% comme la tortilla au Mexique, les Français tortilleraient du nez. Il ne vaut mieux pas toucher à la baguette!

Nous apprenons également que les carburants végétaux n’ont pas été développés plus tôt parce que «le contexte économique, politique, énergétique n’était pas jusqu’ici favorable» . En clair, parce que les pétroliers ne l’avaient pas encore décidé!

Mais le contexte politique a évolué. Un candidat présidentiable propose même en France une «pastille bleue» , bleue comme la Terre (vue de très haut, sinon, c’est moins bleu!) pour favoriser les véhicules au «biocarburant» avec une petite ristourne au péage et des stationnements gratuits. C’est bien mignon, tout cela!

L’attribution du terme «bio» pour les nécro-carburants gagne en tout cas du terrain rapidement. Cela nous rappelle le syndrome des yoghourts de chez Danone. On trouve sur Internet des publicités pour Volvo «Volvo fera du sport bio» ou pour Ford «Ford et Europcar roulent pour le bio!» ou pour Saab «300 chevaux écologiques» . Certaines voitures roulant au carburant végétal ont même la mention «bio» peinte sur la carrosserie.

C’est le coup de grâce pour l’agriculture bio, d’autant plus que la pression des lobbies à Bruxelles cherche à imposer une agriculture bio de «seconde génération» avec une pincée de pesticides par-ci et une demi-pincée de chimères génétiques par-là! Les cahiers des charges de l’agro-bio sont en passe de devenir des cahiers de décharge! Pinçons-nous le nez.
L’industrie de l’automobile s’auréole, ad nauseam , d’une surenchère de slogans verdoyants. Saab vante une de ses voitures avec le logo suivant «Les forces de la nature auront toujours besoin de s’exprimer. Libérons-les» . Koenigsegg présente une voiture comme «sa fleur à la tige puissante» . Les rallyes deviennent «bios» . Les voitures et les pneus «écolos» . Les voitures deviennent «propres» . C’est la «passion verte» . Etc.

Inversion des valeurs

Et si on proposait un moratoire sur les carburants végétaux!

Les carburants végétaux ne sont pas bios: ils sont issus de plantes cultivées avec toute l’artillerie lourde des intrants de l’agro-chimie et des pesticides. Les termes «biodiesel» , «bioéthanol» et «biocarburants» sont passés en un temps record dans le langage commun, suite à un énorme matraquage publicitaire et médiatique. Ces carburants végétaux sont obtenus grâce à des processus d’extraction industrielle très complexes. Le terme «bio» signifie «vie».

On voit difficilement ce qui permettrait à ces carburants végétaux de mériter le préfixe bio. Parle-t-on de bioblé, ou de biotomate ou de biomaïs? Nous sommes là au coeur d’une gigantesque arnaque sémantique. C’est bien plutôt de «nécrocarburants», de «nécroéthanol» et de «nécrodiesel» qu’il faudrait parler. Nécro signifie mort et ce préfixe seul peut qualifier les aspects techniques, écologiques et humains de cette sinistre farce.

Les carburants végétaux ne sont pas verts, ils seraient même plutôt rouges, de la couleur du sang. Ils vont accroître l’immense tragédie de la sous-nutrition, de la mort de faim, de la misère sociale, du déplacement des populations, de la déforestation, de l’érosion des sols, de la désertification, de la pénurie en eau, etc. Les grands groupes pétroliers qui se sont alliés aux grands groupes de l’agro-alimentaire et aux grands groupes de l’agro-chimie et aux grands groupes semenciers pour lancer cette farce grotesque tentent de tranquilliser le citoyen en prétendant que les carburants végétaux ne représentent aucune «concurrence pour les filières alimentaires» .

Dans la série «tchou-tchou» soporifique, l’Aficar (Agence française d’informations et de communication agricole et rurale) a lancé en février 2007 le «Train de la terre» avec l’incontournable wagon sur les carburants verts. L’Aficar doit «promouvoir une image positive, dynamique et innovante de l’agriculture» selon le ministre Bussereau et elle doit rassurer les citoyens sur la qualité des produits agricoles. Ce qui n’est pas une tâche aisée, surtout lorsque ledit citoyen découvre l’ouvrage passionnant de Nicolino et de Veillerette: «Pesticides: révélations sur un scandale français» (Ed. Fayard).
Quels seront les courageux journalistes qui vont se lancer dans la rédaction d’un ouvrage «Carburants végétaux: révélations sur un scandale mondial»?

Désertification et Erosion

Pas de «concurrence pour les filières alimentaires» . Et pourtant, savez-vous:

  • que l’année 2006 fut déclarée par l’ONU «Année Internationale des Déserts et de la Désertification»;
  • que les activités agricoles génèrent une érosion telle que, chaque seconde, ce sont 2.420 tonnes de sol qui partent dans les océans ou dans les vents;
  • que chaque heure de la journée, ce sont 1.370 hectares de terres qui sont désertifiées à jamais;
  • que 36.000 personnes meurent de faim tous les jours;
  • que, selon la FAO, la surface moyenne de terre arable par habitant était de 0,32 hectare en 1961/1963 (pour une population mondiale de 3,2 milliards), de 0,21 hectare en 1997/1999 (pour une population mondiale de 3,2 milliards) et sera de 0,16 hectare en 2030 (pour une population mondiale estimée à 8,3 milliards);
  • que, selon certains experts indépendants, les projections ci-dessus sont hautement optimistes car la surface moyenne de terre arable par habitant dans les pays pauvres sera seulement de 0,09 hectare en 2014;
  • que ces mêmes experts n’ont pas pris en considération, pour leurs calculs, le boom des agro-carburants et les bouleversements climatiques;
  • que, selon la FAO, l’Inde perd chaque année 2,5 millions d’hectares de terres et qu’à ce rythme là, il ne restera plus un gramme de terre arable dans ce pays en 2050;
  • qu’au cours des 20 dernières années, environ 300 millions d’hectares (six fois la surface de la France) de forêt tropicales ont été détruits pour implanter des domaines fermiers et des pâturages ou des plantations à grande échelle d’huile de palme, de caoutchouc, de soja, de canne à sucre et autres récoltes;
  • que, dans l’Iowa, le coeur de l’empire transgénique du maïs et du soja, les églises dans les zones rurales surplombent les champs d’1,5m parce que l’Iowa a perdu 1,5m de sol fertile en un peu plus d’un siècle.

Bilan négatif de l’éthanol

C’est d’ailleurs dans l’Iowa (à Goldfield et Nevada), en allant filmer des usines de production d’éthanol, que nous avons pu obtenir des chiffres précis quant au bilan énergétique de ce carburant végétal.

Voyez avec nous le désastre. L’usine de Goldfield transforme tous les ans 450.000 tonnes de maïs (pour produire 190 millions de litres d’éthanol) mais, pour ce faire, elle brûle tous les jours 300 tonnes de charbon (qui arrivent par camion de bien loin) et elle relâche benoîtement du CO2 dans l’atmosphère. Cela fait tousser les écologistes! Surtout avec 200 centrales de ce type qui se profilent à l’horizon aux USA. Le charbon, c’est pas très propre mais le gaz est tellement cher: alors certains envisagent de faire tourner les centrales d’éthanol au bois. Quitte à ce que les forêts des USA brûlent de sécheresse, autant les faire brûler dans les usines d’éthanol. Le problème restant que les forêts qui brûlent sont souvent situées à des milliers de kilomètres.
Tentons d’esquisser un bilan (provisoire) de la centrale de Goldfield dans l’Iowa. Pour produire 1 litre d’éthanol, il faut transformer 2,37 kilos de maïs, brûler 500 grammes de charbon et utiliser 4 litres d’eau.

Le Professeur Pimentel, de l’Université de Cornell (Ithaca, New-York) a prouvé déjà, depuis de nombreuses années, que le bilan énergétique basique de la production d’éthanol est complètement négatif car la production de maïs a un coût réel (intrants, pesticides, travail) sans parler de l’amortissement du matériel agricole qui n’est jamais pris en compte car le bilan serait par trop indécent. Bref, selon le Professeur Pimentel, le carburant végétal réchauffe davantage la planète que l’essence!

Et la facture cachée?

Pas vu, pas pris:

  • les agro-carburants vont accélérer la destruction des écosystèmes en répandant encore plus d’intrants et de pesticides dans les sols, dans l’atmosphère et dans les eaux;
  • un litre d’éthanol entraîne l’érosion de 15 à 25 kg de sol: érosion, entendons-nous bien, signifiant disparition pure et simple, éradication;
  • qu’en est-il de l’eau? C’est le bouquet final. Il faut, selon les régions, de 500 à 1.500 litres d’eau pour produire un kilo de maïs. Cela signifie que la production d’un litre d’éthanol à base de maïs requiert l’utilisation de 1.200 à 3.600 litres d’eau!
    C’était, avant-hier, la journée mondiale 2007 de l’eau, lancée par la FAO avec le mot d’ordre: «Faire face à la pénurie de l’eau» . Cette journée mondiale de l’eau est toujours l’occasion pour les grandes nations occidentales (qui exploitent sans vergogne les pays pauvres et qui leur vendent des armements) de verser quelques larmes de crocodile. Quelques larmes seulement: ne faut-il pas faire face à la pénurie de l’eau?

2,6 milliards d’humains sans assainissement, 1,3 milliards d’humains sans accès à l’eau potable et 3.800 enfants qui meurent tous les jours de maladies liées au manque d’eau potable. Les optimistes invétérés nous rétorqueront sûrement que ces enfants sont déjà comptabilisés dans les 36.000 personnes qui meurent de faim tous les jours!
Rappelons également que l’agriculture consomme 90% de l’eau douce du monde.

L’éthanol en France et ailleurs

Si l’on en croit l’actualité récente, Total (la première entreprise française) va sûrement tenter de troquer les pots de vin contre des pots d’éthanol. Le grand avantage de l’éthanol, c’est que les pétroliers (ou éthanoliers) vont pouvoir s’échouer sur les côtes bretonnes sans ruiner le tourisme! Une plage souillée à l’éthanol, cela fait plus chic. Les petits poissons (si tant est qu’il en reste un peu) seront contents de participer à la lutte contre le réchauffement climatique. Qui, dans ces conditions, oserait demander des dommages et intérêts au prince?

Total affirme être le leader européen dans la production d’éthanol. Vive la France pionnière qui s’engage résolument dans les filières maïs, blé et betterave.

Le leader français de l’éthanol serait le sucrier Tereos, second sucrier mondial, qui a fusionné l’an passé avec un autre sucrier français, SDHF. En France, Tereos aurait obtenu 31% des agréments français pour la production d’éthanol de betterave et de blé. Tereos serait actuellement le cinquième producteur mondial d’éthanol.

Tereos a ouvert en 2006 une distillerie de 3 millions d’hectolitres située dans l’Aisne. 90 millions d’euros ont été investis pour traiter 3 millions de tonnes de betteraves provenant de près de 40.000 hectares cultivés par 10.000 agriculteurs.

Tereos a pris des participations dans des entreprises sucrières en Afrique: c’est la première fois qu’une entreprise européenne sucrière s’implante en Afrique continentale. Ethanol oblige.

Au Brésil, Tereos va traiter 7 millions de tonnes de sucre en 2007. Tereos est devenu, en 2006, le 3ème producteur de sucre dans ce pays. Tereos envisage d’y traiter 18 millions de tonnes de canne à sucre, pour l’année 2012.

Soit dit en passant, les cours du sucre sont en train de flamber. A cause de l’éthanol. Rappelez-vous: pas de «concurrence pour les filières alimentaires» . D’ailleurs Tereos annonce pour l’année 2006 une augmentation de 84% de ses résultats. Et se dit tenté par la bourse! Les fonds d’investissement seraient très gourmands de sucre! C’est vraiment de l’or vert cet éthanol!

En République Tchèque, Tereos a ouvert une seconde distillerie d’éthanol de betterave à Dobrovice en octobre 2006 et prévoit l’ouverture d’une troisième.

Selon des nouvelles récentes, Tereos a remis une offre de reprise de quatre usines de TALFIIE, la division glucose Europe de Tate & Lyle. Cette reprise permettrait au sucrier de transformer en plus 2,6 millions de tonnes de blé et de maïs.

Tereos vient d’investir 130 millions d’euros dans une autre ethanolerie dans la Marne (ouverte en avril 2007) qui fonctionnera au blé: elle transformera 840.000 tonnes de blé pour produire 3 millions d’hectolitres d’éthanol.
Ce qui fait à la louche, ou à la pompe, 3 kg de blé pour un litre d’éthanol. Qu’en est-il du bilan réel? Qu’en est-il de la facture cachée: destruction des sols par la chimie, érosion, épandage de pesticides, etc. L’éthanol de blé est-il produit à partir de blé irrigué ou de blé non-irrigué? Il faut en moyenne de 1.000 à 1.500 litres d’eau pour produire un kilo de blé.

Ethanol et crises

alimentaires

Nous recevons aujourd’hui-même un mail de nos amis au Guatemala. Le prix de la tortilla (aliment traditionnel à base de maïs) a augmenté de 80%. La situation est identique au Mexique. L’augmentation de 40 à 100% du prix de la tortilla entraîne de sérieuses émeutes dans tout le pays. Quelques années en arrière, les paysans ont cessé de produire leurs maïs traditionnels au Guatemala et au Mexique car cela revenait moins cher d’acheter la tortilla à la tortilleria industrielle que de cultiver sa milpa en raison du dumping de maïs (ogm) en provenance des USA.

Mais, aujourd’hui, la situation a changé: les USA gardent leur maïs (20% de la récolte de maïs US est transformé en éthanol) et les Mexicains crèvent de faim!

Aux USA, les cours du maïs sont en train de flamber. Ils ont atteint, en début mars 2007, leur plus haut niveau depuis plus de dix ans, dopés par une demande croissante d’éthanol et une récolte états-unienne très médiocre. En 15 mois, le bushel (25 kg) de maïs est passé de 1,85 dollar à 4,05 dollars ce qui représente une augmentation de 115%!!!

Aux USA, entre 2004 et mars 2007, la production annuelle de blé est passée de 59 à 49 millions de tonnes, soit une baisse de 16%. Quant à la production annuelle de maïs, elle est passée de 300 millions de tonnes en 2004 à une projection de 267 millions de tonnes pour 2007, soit une baisse de 11%.
La production mondiale de blé, dans le même espace de temps, a chuté de 6% et celle de maïs a chuté de près de 3%.

L’Australie, frappée de sécheresse, a vu sa production de blé chuter de 22,6 à 10,5 millions de tonnes de blé. Une baisse de 55%!
Des voix commencent à s’élever qui évoquent une crise alimentaire aux USA, car l’augmentation du prix des céréales entraîne des effets multiples dans les chaînes alimentaires. Le coût d’un poulet, par exemple, est constitué à 40% par le prix du maïs. Les prix augmentent parce que l’offre baisse, parce que la demande s’accroît (en raison de la production d’éthanol) et parce que certains aléas climatiques sont en train de semer le chaos dans l’agriculture!

Et les multinationales et les gouvernements voudraient nous faire croire que les agro-carburants ne représentent aucune «concurrence pour les filières alimentaires» .